Entreprises privées en Chine, jusqu’où la liberté ?

Les entreprises privées en Chine sont florissantes. Elles jouent un rôle crucial pour le bien du pays mais il est important qu’elles restent dans les rangs. Aujourd’hui, les enjeux s’étendent aux sociétés cotées sur les places boursières internationales, et particulièrement les entreprises liées à Internet. Jusqu’où le gendarme de Beijing va-t-il aller ?

Je me souviens de la panique des investisseurs occidentaux devant ce qui était perçu alors comme la mort de l’ « entreprise privée » en Chine. On était en 2017.  Wu Xiaohui, le président emblématique d’Anbang, venait d’être arrêté, soupçonné de détournement de fonds. Le puissant conglomérat privé, troisième assureur du pays, avait été placé sous tutelle de l’Etat.

Les craintes de l’Occident étaient cependant infondées. L’ « entreprise privée » n’était pas morte. Elle est encore bel et bien vivante, elle est même florissante.

La bonne santé des entreprises privées ne devrait cependant pas laisser de doute sur la direction qu’elles doivent suivre. L’Etat les laisse se développer car elles remplissent une mission cruciale pour la nation.

Nous devons nous rappeler que les entreprises privées représentent 80 % de l’emploi urbain en Chine, 90 % de la création d’emplois, et que nous estimons que la tolérance pour les taux de chômage en Chine serait d’environ 7 % avant que l’on commence à voir des troubles civils. Dans le même temps, la Chine se désendette, nous avons assisté à une augmentation significative des écarts de crédit du côté des entreprises d’État et à des défaillances très médiatisées de mastodontes comme Evergrande. Il ne s’agit certainement pas d’une tentative de nationalisation ou de transfert du soutien vers l’État. Il s’agit plutôt d’un effort global pour réduire le risque dans tous les domaines et là où il s’est le plus accumulé.

Prospères et florissantes, oui mais l’Etat veille à ce qu’elles ne s’écartent pas du chemin qu’il a tracé

Dans la pensée chinoise, il est clair que l’orgueil et la cupidité démesurés d’une entreprise peuvent mettre en péril la sécurité et la stabilité d’un pays. Il revient donc au gouvernement de rester vigilant et de s’assurer que rien ne mette en péril sa « grande stratégie », afin que le pays devienne plus fort en tant que nation tout entière, et qu’aucune entité ne puisse mettre le reste du pays en danger.

Lorsque je faisais mes études à Yale, on discutait souvent du fait que l’Occident, après la guerre froide, semblait avoir perdu sa « grande stratégie », en partie à cause de cycles politiques plus courts et plus divisés, et en partie à cause de la complaisance.

Les Chinois disposent d’une feuille de route très claire qui suit la direction stratégique tracée par un leader incontesté qui s’assure que la nation tout entière est dans les rangs.

À l’époque d’Anbang, la faiblesse de la monnaie était une préoccupation majeure pour le gouvernement ; Wu Xiaohui s’apprêtait à signer un deal de USD 14 milliards. Une telle sortie de capitaux constituait une menace pour la stabilité du pays et il s’agissait de taper sur les doigts. La mise sous tutelle d’Anbang a été une frappe chirurgicale destinée à servir d’exemple. De ce point de vue, il s’agit d’une mesure à fort retour sur investissement : conformité maximale, intervention minimale.

Aujourd’hui, les deux questions-clés sont la sécurité nationale et la sécurité des données.

Dans le cas de Didi, le transport est une question de sécurité nationale, et il semble que Didi, ou Uber, dispose de données extrêmement exhaustives. Il est compréhensible que le gouvernement ne souhaite pas qu’un état étranger ait accès à ces données de quelque manière que ce soit.

Le deuxième point sensible concerne la confidentialité des données. Ce problème n’est pas propre à la Chine ; les gouvernements du monde entier se rendent enfin compte que les entreprises qui détiennent toutes ces données ne sont plus des start-ups. Elles comptent parmi les organisations les plus puissantes du monde. Puissantes au point d’avoir influencé le résultat d’élections majeures (on pense bien sûr au rôle de Facebook ou Twitter lors du vote sur le Brexit et de l’élection de Donal Trump).

La situation est pour le moins ironique ! Seul un gouvernement qui possède autant de données sur sa propre population peut comprendre l’étendue du pouvoir de ces plates-formes. Seul un gouvernement qui contrôle réellement la propagande peut comprend le véritable danger des « algorithmes impartiaux ».

Le public a accepté le fait que des entreprises chinoises soient cotées dans des pays étrangers, avec des actionnaires ou des gouvernements qui pourraient avoir le droit ou l’accès à leurs données – tout comme la montée sans entrave des monopoles de l’internet. Dans l’esprit de Pékin, il est certainement temps de les mettre au pas.

Nous restons à l’écart des grands acteurs de l’Internet dans le court terme mais pensons que la vague de pression réglementaire chinoise en est à sa fin plutôt qu’à son début.