Fin de la montée des taux longs américains ?

La correction obligataire qui a suivi le choc déflationniste de la 1ère vague du COVID a démarré à l’été 2020 et s’est poursuivie de façon quasi constante jusqu’ici. Le rendement du T-Note 10 ans est ainsi passé d’un peu plus de 0.50 % en août 2020 à plus de 3.00 % récemment (avec une forte accélération entre début mars et fin avril).

Comme le montre le tableau ci-dessous, cela en fait au total une correction obligataire proche des plus fortes que l’on ait connues depuis 41 ans (c’est-à-dire depuis que les taux longs baissent), notamment celles de 1987 et de 1994.

Source : Bloomberg

Pourquoi ? Parce qu’il nous semble que parmi les déterminants fondamentaux des taux longs (resserrements monétaires anticipés, inflation anticipée, taille du bilan de la Fed, appétit pour le risque, équilibre épargne/investissement dans le monde) de même que parmi les facteurs techniques (prime de terme, positionnement des investisseurs, courbe des taux ajustée du cycle), l’essentiel des facteurs de hausse est plutôt derrière nous.

Quid des perspectives de resserrement monétaire ? Il est clair que ce fut le principal facteur de tensions des rendements dernièrement. Et il nous semble que nous sommes proches du point haut du « repricing ».

Les marchés futurs valorisent désormais un taux terminal à 3.20% : le taux anticipé par les marchés est ainsi bien au-dessus du taux neutre envisagé par la FED (2.4% à moyen terme). De même, comme le montre le graphique ci-dessous, il est supérieur à un taux neutre nominal sur la base d’un taux neutre réel d’équilibre de 0.5% et de l’inflation envisagée par la FED fin 2023 (2.6%).

On rappelle que les hausses de taux courts n’ont un impact sur les taux longs que si elles ne sont pas anticipées. Les taux longs escomptent (toujours avec une longueur d’avance) les resserrements monétaires à venir. C’est pourquoi les corrections obligataires précèdent les phases de démarrage de resserrement monétaire (la moitié de la correction obligataire se produit avant le début du resserrement monétaire effectif) de 4 mois en médiane depuis le début des années 80.

Quant à la réduction du bilan envisagée par la FED (QT, Quantitative Tightening), elle est non seulement plus précoce qu’en 2017-18 par rapport à la 1ère hausse des taux (2 ans à l’époque vs. 2/3 mois envisagés actuellement) mais elle va être également beaucoup intense. Selon les propositions évoquées par la Fed, le réinvestissement des retombées des titres achetés dans le cadre du QE devrait en effet diminuer de manière rapide. Ainsi, seuls les montants au-dessus d’un cap (augmentant sur 3 mois) seront réinvestis (caps de USD 60mia par mois pour les Treasuries et USD 35mia pour les MBS).

Les caps sont sensiblement plus élevés que lors de la réduction du bilan de 2018 (USD 30mia pour les Treasuries et USD 20mia pour les MBS). En ce qui concerne les Treasuries, on a une vision assez claire de la baisse du bilan que cela induit (USD 300mia en 2022, USD 600mia en 2023). Le rythme de repli total du bilan, y compris les MBS, devrait atteindre environ USD 900mia de dollars en 2023, soit près du double de celui observé en 2018/2019 (USD 500mia en rythme annuel environ).

Si l’on tient compte des effets traditionnels du QE sur les taux longs (environ 20pb pour USD 600mia de rachats d’actifs selon une moyenne d’études) que l’on ajuste de la hausse des encours de Treasuries depuis la période 2010-2016, on aboutirait à un impact de l’ordre de 20pb sur le taux long 10 ans d’équilibre. Mais ici aussi, les anticipations de marché concernant le QT sont, selon les enquêtes, très proches de celles de la Fed. En conséquence, le risque de surprise se réduit.

Sur les anticipations d’inflation, il reste certes quelques risques de surprises haussières compte tenu des difficultés en termes de chaines de valeur (Chine, notamment après les mesures de confinement qui affectent le port de Shanghai) et, bien sûr, de la situation du conflit en Ukraine, mais nous estimons toujours que les prix reflueront à partir du T3.

Notons d’ailleurs que la tendance mondiale est au plafonnement des surprises inflationnistes avec une dynamique macro qui ralentit (cf. graphique ci-dessous).

Pour le reste, la courbe des taux quasi-aplatie et une prime de terme très faible nous paraissent conformes avec le ralentissement tendanciel et en cours de l’économie américaine.

Quant au positionnement des investisseurs, il nous paraît assez agressif.

Ainsi, les investisseurs ont un poids d’obligations dans leurs portefeuilles assez faible (0,4 écart-type en-dessous de la moyenne vs près de 1 écart-type au-dessus début 2020). De même, les positions spéculatives sont désormais très haussières.

C’est pourquoi on peut envisager au total un pic du taux long (T-note) 10 ans américain à un peu plus de 3% (un peu plus de 1,00% pour le Bund 10 ans) pour les prochaines semaines, puis un niveau plus faible en fin d’année. Notons néanmoins que la volatilité des Treasuries restera particulièrement élevée et que la trajectoire peut être heurtée dans les prochaines semaines.