Green In, Green Out

Cette chronique de Jean Keller est parue dans Le Temps du 15 novembre 2021. Lire l’article en PDF.

Alors que le secteur financier est souvent accusé de greenwashing, il faut rappeler que des investissements responsables ne peuvent se faire qu’avec des sociétés vraiment durables. C’est pourquoi des standards de reporting de durabilité pour les entreprises sont essentiels.

Même si l’on peut naturellement regretter que la fondation IFRS ait recalé Genève au profit de Francfort pour y installer le futur siège du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB), il faut tout de même se réjouir que la standardisation du reporting durable progresse rapidement. Car, si en informatique, la fameuse formule GIGO (« Garbage In, Garbage out ») indique que des données de mauvaise qualité ne peuvent produire que des résultats douteux, on peut appliquer le même raisonnement à l’investissement responsable. En effet, ce n’est que si les informations de durabilité des sociétés sont fiables, transparentes et standardisées que la gestion responsable pourra aboutir à des résultats véritablement convaincants. En d’autres termes, ce n’est que si l’on a du vrai « Green in » que l’on pourra obtenir du « Green out ».

Critiques publiques et normes réglementaires

Et il est urgent d’améliorer la situation car une frange grandissante de la population reproche aux banques et aux sociétés de gestion leur impact négatif sur notre planète. Même la BNS n’est pas à l’abri des critiques, accusée de ne pas réduire l’empreinte carbone de ses investissements. Car la société civile souhaiterait non seulement encourager les flux des capitaux vers les activités les plus vertueuses en termes de développement durable, mais exige de plus en plus l’arrêt du financement des activités économiques nuisibles à l’environnement ou qui utilisent le capital commun de toute l’Humanité. La pression pour un désinvestissement général des énergies fossiles se fait de plus en plus forte, à tel point qu’un nombre grandissant de fonds de pension ou de fondation de dotation se détournent du charbon et du pétrole. Même le fonds souverain de la Norvège – ironie suprême car il est pourtant le fruit de l’exploitation des richesses pétrolière du pays – envisage de les exclure de son portefeuille.

Mais lorsque la gestion d’actifs ajuste son offre en profondeur pour se lancer dans la gestion durable, on lui reproche alors de pratiquer le greenwashing, en communiquant de manière abusive pour se faire passer pour plus verte qu’elle n’est en réalité. Comme c’est souvent la règle (mais ici c’est vraiment bienvenu), les autorités ont réagi en imposant de nouvelles règles à un secteur qui n’en manque pourtant pas. C’est ainsi qu’au mois de mars, les autorités européennes ont instauré leur nouveau règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité (SFDR) afin d’améliorer la transparence et lutter contre l’écoblanchiment. La Suisse n’est pas en reste, puisque le rapport du Conseil fédéral sur le développement durable du secteur financier suisse, publié en juin dernier, annonce des dispositions similaires dans notre pays.

Les gérants d’actifs agissent pour le compte de leurs clients

Pourtant, pour bien intentionnée qu’elle soit, on est en droit de s’interroger sur le bien-fondé et surtout sur l’utilité d’une telle pression. Car il faut rappeler que le secteur financier agit essentiellement en tant qu’agent des investisseurs. Ceux-ci sont les véritables propriétaires des capitaux et gardent seuls la responsabilité de faire les choix moraux sur la manière dont leurs fonds sont investis. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la gestion indicée, devenue hégémonique avec le succès grandissant des ETF, implique par définition d’investir dans toutes les sociétés de l’indice sous-jacent, ce qui ne permet pas de faire l’impasse sur l’une ou l’autre des entreprises qui le composent.

Exclure les mauvais élèves ou récompenser les bons?

Pour beaucoup de ceux qui sont éloignés de ces problématiques, il est facile d’édicter des règles simplistes : il « suffit » de ne plus investir dans les sociétés polluantes, au profit des fournisseurs d’énergie propre, des producteurs d’aliments bio et autres fabricants de vélos. Mais la réalité est évidemment plus nuancée. Tout d’abord, parce que malgré toute notre bonne volonté, il faut admettre que nous ne pouvons pas encore nous passer totalement de pétrole, de ciment, de produits chimiques, de transports routiers, de papier ou de métaux lourds. Les exclure a priori aboutirait donc à des portefeuilles extrêmement déséquilibrés, laissant de côté des pans entiers de nos économies. Cela freinerait également le développement économique de la plupart des pays émergents, encore peu actifs dans le tertiaire et les activités dites propres. Enfin, cela n’inciterait pas les entreprises des secteurs boycottés à faire des efforts, puisqu’ils n’en seraient pas récompensés par une augmentation de leur cours en bourse. Ceci pourrait même les pousser à se décoter pour aller vers les marchés privés, où le grand public aurait beaucoup moins de visibilité et donc de contrôle sur l’atteinte des objectifs communs. C’est pourquoi il semble préférable de favoriser les bons élèves, c’est-à-dire les sociétés qui font le plus d’efforts pour minimiser leurs dommages à l’environnement et décarboner leur activité, même dans des secteurs a priori polluants.

La nécessité de standards reconnus

Mais pour ce faire, il est indispensable de disposer d’un référentiel commun, qui permette aux investisseurs de faire un choix informé et quantifié entre les sociétés véritablement vertueuses et celles qui se contentent de déclarations d’intention et de promesses en l’air. A cet égard, rappelons que ces difficultés d’évaluation objective et de comparaison entre acteurs de pays différents étaient autrefois la norme dans l’analyse financière des entreprises, jusqu’à l’apparition de normes comptables uniformisées. Aujourd’hui, les standards de reporting financier comme l’IFRS sont devenus des références en Europe et ailleurs, qui facilitent la transparence et une valorisation correcte des entreprises. C’est pourquoi l’annonce le 3 novembre à la COP26 de la création de l’International Sustainability Standards Board constitue une étape majeure dans le développement de l’investissement responsable et la transformation nécessaire du capitalisme vers un système dans lequel l’existence d’une entreprise ne se justifierait plus uniquement par le profit, mais plutôt par sa valeur sociétale totale.