Impressions sur la réouverture

Après 3 ans, la Chine a finalement rouvert ses portes aux voyageurs étrangers. Alice Wang, gérante d’une stratégie en actions chinoises et en actions Asie ex-Japon chez Quaero Capital, rentre d’un voyage de 3 semaines en Chine. Dans le texte qui suit, elle nous fait part de ses impressions, parfois anecdotiques, basées sur de nombreuses réunions et visites à travers le pays. 

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S’il y avait eu des vols directs pour Shanghai, j’aurais évité Hong Kong. J’imaginais une ville fantôme – vidée de sa substance et de son énergie, de ses affaires et de ses expatriés. Quelle ne fut pas ma surprise en arrivant à une conférence de Goldman Sachs où plus de mille participants s’étaient déplacés pour écouter Kevin Rudd, l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères australien. Un tel engouement montrait bien l’intérêt local pour la géopolitique – une quasi-obsession à Hong Kong qui s’est évaporée au moment où j’ai franchi la frontière chinoise.

La première fois que j’ai mentionné que « l’affaire du ballon » avait eu un impact sur le sentiment de marché, j’ai été accueillie par un regard vide. Quel ballon ? Dans les sept villes que j’ai visitées, de la catégorie 1 à la catégorie 6 [voir note en fin d’article], très peu de personnes, voire aucune, avaient la moindre idée de ce qu’était cette « histoire de ballon ». J’ai alors compris que les dirigeants chinois n’ayant aucun intérêt à attiser les craintes géopolitiques de leur population et préférant de loin mettre l’accent sur l’économie, n’avaient simplement pas communiqué l’incident.

Economie : préoccupation numéro 1

Les hommes d’affaires que j’ai rencontrés m’ont raconté que le pire était maintenant derrière eux. Les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration m’ont dit comment ils avaient récupéré trois mois de pertes en quelques jours, à l’occasion de la frénésie qu’a suscité le Nouvel An chinois dans le pays finalement réouvert. Et un ami vivant à Shanghai, la ville la plus touchée par les lockdowns, s’est extasié de l’ouverture prochaine de 20 nouveaux centres commerciaux dans la ville.

Une décoratrice d’hôtel m’avait proposé de la rejoindre pour un déjeuner à 11h. J’avais trouvé cette heure un peu insolite. Et bien, à 11h30, 10 groupes faisaient la file à l’extérieur de notre restaurant complètement bondé. Elle a reçu un appel au milieu du repas et m’a annoncé avec enthousiasme qu’elle se rendrait au Tibet la semaine prochaine pour concevoir un nouvel hôtel quatre étoiles – c’était son premier travail depuis un an, a-t-elle précisé.

Quelques mois seulement après la réouverture, les investissements bourgeonnent de toutes parts – l’opportunisme et l’optimisme chinois en matière de profits sont de retour.

Le dirigeant d’une entreprise d’exportation a plaisanté en disant que si 2/3 des habitants de Shanghai essayaient de quitter le pays à l’automne dernier, ce chiffre était probablement d’environ 1/3 aujourd’hui. Les gens ont la mémoire courte. Pour les investisseurs étrangers, les lockdowns de l’année dernière ont peut-être été l’équivalent de Tienanmen, mais avec le retour de l’excitation, de la normalité et des voyages, ces lockdowns ne seront bientôt plus qu’un lointain souvenir pour les Chinois. Ceux-ci d’ailleurs n’auront sans doute pas à rougir de leur pays au cours de leurs voyages.

La Chine de l’après-COVID

J’imagine une touriste chinoise qui se rend à New York, maintenant que les États-Unis ont levé toutes les restrictions liées au COVID. Elle sera accueillie par l’odeur des égouts dans les rues, par des cafés lattes qui coûtent USD 10 et par des repas dans un restaurant moyen qui pourraient coûter plus de USD 100 par personne, avant pourboire. Cette touriste oubliera probablement qu’elle a besoin d’argent liquide – en Chine, l’argent liquide n’est plus accepté dans de nombreux endroits ou n’est accepté qu’à contrecœur avec un soupir de désagrément. Par-dessus tout, cette touriste ressentirait le caractère oppressant de l’alarmisme constant des médias sur le risque imminent de guerre avec la Chine, la crainte de harcèlement dans le métro ou dans les rues de SoHo – je le sais parce que j’ai été cette touriste. Cette touriste rentrerait chez elle et, pour la première fois peut-être, conclurait que la vie dans sa ville natale de catégorie 2 est plus agréable que dans le « beau pays », comme on appelle l’Amérique en mandarin.

Sa ville de catégorie 2 aura beaucoup changé au cours des trois dernières années, et probablement pour le mieux. Dans tout le pays, de nouveaux centres commerciaux ont vu le jour, construits pour ressembler aux rues et aux palais chinois traditionnels. Ils apparaissent comme des oasis au milieu des gratte-ciel imposants. Dans ces centres, on aperçoit parfois une jeune femme chic ou un élégant jeune homme vêtu non pas en Versace ou en Gucci, mais du hanfu traditionnel, qui passe gracieusement avec un parapluie.

Dans les villes de catégorie 5, les gouvernements ont consacré des budgets pour développer les jardins traditionnels chinois afin d’améliorer la qualité de vie, tout en modernisant l’infrastructure locale pour améliorer l’efficacité – car même avec 1 million d’habitants, les « petites » villes chinoises peuvent considérablement augmenter leur productivité et réduire les émissions de gaz à effet de serre grâce à des investissements dans le métro. L’urbanisation rapide de la Chine au cours des dix dernières années a en effet créé de nouvelles opportunités pour les investissements dans les infrastructures.

Efficacité et amélioration des processus sont appliqués à tous les niveaux. Luckin Coffee, qui exploite désormais plus de magasins que Starbucks et se concentre exclusivement sur la livraison (il n’y a pas de chaises ou de canapés où déguster son café ou rencontrer ses amis comme dans les Starbucks), a ramené le coût d’un café latte à moins de RMB 20. Et malgré le préjugé que j’avais à l’égard de cette société, force est de constater que leur café est désormais suffisamment bon marché pour que les entreprises préfèrent commander du Luckin Coffee plutôt que d’utiliser leurs propres machines à expresso – j’ai donc eu ma part de Luckin Coffees au cours de ce voyage. Je peux attester que leur latte au lait de coco (leur best-seller du moment) est tout à fait délicieux (une vraie découverte !) – je suppose que j’ai encore en travers de la gorge les 10 dollars que j’ai payés pour un latte au lait d’avoine à SoHo au début de l’année dernière.

La Chine m’a surprise : peut-être parce que le niveau de vie s’est tellement détérioré au cours des deux dernières années [aux États-Unis] et que le contraste avec la Chine est si frappant. Ou encore, peut-être parce que mes attentes étaient si basses avant mon voyage. La Chine a fait quelque chose d’admirable – quelque chose que je n’ai jamais vu au cours de mes voyages dans les pays émergents. Dans ces pays, être moins que très riche, c’est vivre dans des conditions insalubres, avoir des horaires de travail abrutissants et vivre au jour le jour. En Chine, appartenir à la classe moyenne, c’est mener une vie sûre, propre, abordable et, pour l’heure, empreinte d’un optimisme naissant.

Un moteur : la croissance organique qui incite à l’optimisme

J’ai vu une Chine tirée par une croissance organique de la consommation. Aujourd’hui, la Chine fait table rase du passé : elle n’a bénéficié d’aucune mesure de relance, d’aucun transfert direct de la part du gouvernement et sort de la pire crise immobilière de l’histoire du pays. Il y a bien des raisons d’être optimiste.

Tout d’abord, le consommateur chinois est enfin prêt à prendre les rênes, non seulement dans les villes de catégorie 1, mais dans l’ensemble du pays. Il ne faut donc pas s’attendre à de grands gestes politiques, car la reprise tirée par la consommation devrait conduire à une reprise de l’investissement privé (l’investissement dans l’immobilier commercial montre déjà une reprise significative).

Deuxièmement, les gouvernements locaux n’ont pas d’argent – sans ventes de terrains, ils sont privés de leurs revenus. Ce sont les consommateurs qui devront se débrouiller seuls – et si nécessaire, les politiques interviendront.

Pour boucler la boucle, le fait que la Chine censure « l’affaire du ballon » est extrêmement positif – cela signifie qu’elle se concentre sur l’économie et la prospérité à long terme du pays. Elle ne veut pas être poussée à la guerre par des pressions extérieures ou intérieures. Le calcul des autorités aujourd’hui est d’attendre, d’endurer. Parce que, selon leurs propres termes, le temps joue en leur faveur.

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Note: Le système de classement des villes chinoises (chinois : 中国城市等级制) fait référence à une classification hiérarchique non officielle des villes chinoises en République populaire de Chine (RPC). Il n’existe pas de liste officielle dans le pays, le gouvernement chinois ne publiant ni ne reconnaissant aucune définition officielle ou liste de villes incluses dans le système à niveaux. Toutefois, divers médias internationaux s’y réfèrent fréquemment, notamment dans les domaines du commerce, des transports, du tourisme et de l’éducation. (Source: Wikipedia)