Investir en suivant les modes nuit gravement à votre santé financière

Cette chronique de Jean Keller est parue dans Le Temps du 12 avril 2021. Lire l’article en PDF.

Les amateurs de sensations fortes ont été à la fête depuis quelque temps, avec une série d’événements qui ont rappelé à quel point la hausse des marchés financiers reposait sur un mélange de complaisance et de déni. Alors, comme des consommateurs lassés des aliments hyper-transformés qui retrouveraient le goût des produits naturels, il est peut-être temps de se concentrer à nouveau sur des recettes éprouvées pour préserver notre santé financière.

Au cours des derniers mois, les marchés financiers ont connu plusieurs aventures qui ont occupé la une des journaux et sévèrement testé leur capacité de résistance. Qu’il s’agisse de la saga GameStop, des montagnes russes du Bitcoin, de la faillite Greensill ou encore de la débâcle Archegos, ces péripéties soulignent toutes la légèreté de nombreux investisseurs, privés mais aussi institutionnels, aveuglés par l’appât du gain et le plus long bull market de l’histoire. Alors que les marchés boursiers continuent de battre des records historiques, les investisseurs semblent atteints de la fameuse FOMO, ou « Fear Of Missing Out », des Millennials qui leur fait se ruer sur toutes les tendances de peur de manquer une opportunité. Et en matière d’investissement comme ailleurs, la perte du discernement et de l’esprit critique ouvre toute grande la porte à tout type d’excès et aux déceptions inévitables qui les accompagnent.

L’effet de levier ne pardonne aucune erreur

Dans notre environnement particulièrement volatil, cet effet moutonnier est exacerbé par l’utilisation massive du levier qui inflige une punition sévère à la moindre erreur de jugement, comme Credit Suisse et d’autres banques d’investissement viennent d’en faire amèrement l’expérience avec l’affaire Archegos. De fait, la 2ème banque de notre pays vient d’annoncer qu’elle avait perdu CHF 4.4 milliards dans l’implosion en plein vol du hedge fund new-yorkais. Cette affaire illustre bien les distorsions actuelles dans les marchés. En effet, l’utilisation massive du levier – on parle d’un effet multiplicateur de 20 -, a entraîné des mouvements totalement irrationnels dans un petit nombre de titres soutenus par la firme en question. A cet égard, l’exemple de ViacomCBS est frappant : alors qu’Archegos achetait massivement à crédit les actions de la société, l’effet positif sur son cours augmentait son poids dans l’indice et forçait en parallèle les investisseurs passifs à augmenter leur position, décuplant ainsi l’effet de rareté et donc la hausse du titre. En l’espace de 12 mois, le cours de ViacomCBS est ainsi passé de $12.4 à plus de $100 et d’autres titres – comme Baidu en Chine – ont suivi la même trajectoire.

Une sorte de jeu de l’avion

Tant que les cours de bourse progressent, la stratégie est gagnante, mais pour poursuivre dans cette voie, il faut impérativement continuer d’acheter, donc s’endetter, et de manière spectaculaire dans ce cas précis. Il suffit ensuite d’un grain de sable pour que la mécanique s’enraye. De fait, le retournement de tendance causé par une augmentation de capital de ViacomCBS, d’ailleurs facilement prévisible après une telle performance comme c’est également le cas chez GameStop actuellement, a fait disparaître l’équilibre fragile sur lequel reposait cette stratégie, avec les effets désastreux que l’on sait. Pour ceux qui ont pris le train ViacomCBS en marche, rappelons que le titre a chuté de plus de $100 à $44, soit une baisse de 56% ! Ce type d’exagération est malheureusement caricatural après une longue période de hausse. Sans être totalement identique, l’aventure GameStop suit les mêmes règles et les autres excès qu’on observe aujourd’hui font craindre des déceptions du même ordre à brève échéance.

Une recette pour investir plus sereinement

A l’heure où tout le monde a peur de manquer le train de la hausse, il est rassurant de suivre les autres. Mais s’il est difficile d’aller contre le marché, il y a des moments où il vaut la peine de faire un pas de côté pour se poser des questions. Car la seule garantie que l’on a en copiant les autres investisseurs, c’est simplement d’obtenir le même résultat qu’eux.

C’est pourtant simple de gagner en bourse : il suffit d’acheter au creux de la vague puis de revendre au sommet. En réalité, c’est évidemment plus facile à dire qu’à faire et la recherche académique démontre de manière irréfutable qu’il est extrêmement difficile de « timer » les marchés. De fait, très peu de stratégies ont été capables de saisir les points d’inflexion des cours. Pour la gestion de son portefeuille, il est donc bien plus sage – et bien plus prudent – de se concentrer sur des recettes éprouvées. Car une action n’est pas un actif purement synthétique dont la valeur n’est déterminée que par la loi de l’offre et de la demande. Si les phénomènes de mode et des facteurs exogènes, comme la politique des banques centrales, peuvent temporairement influencer de façon disproportionnée les cours en bourse, sur le long terme l’évolution des actions d’une société dépend de ses résultats économiques. Sur la longueur, la moyenne des performances du titre va donc fluctuer autour de la croissance des bénéfices. C’est pourquoi il est plus judicieux d’investir son épargne en fonction des fondamentaux des entreprises.

Comment miser sur le bon cheval ?

Évidemment, analyser une société, évaluer ses produits et la concurrence, la visiter pour en connaître tous les rouages et le management, c’est plus compliqué que de suivre un indice. Sans oublier que l’une des difficultés, c’est aussi de trouver les bons gérants d’actifs, ceux qui sont capables de générer de l’alpha de façon régulière. Il existe peu d’indicateurs permettant de prédire quelle maison de gestion sera capable de générer de la performance à l’avenir. Néanmoins, les dernières études s’accordent à dire que quelques marqueurs sont essentiels pour créer les conditions des performances futures. Ainsi, la participation des employés au capital, une gestion de conviction et l’indépendance dans la recherche sont autant d’éléments qui ont été identifiés par le monde académique comme source de surperformance par rapport à la gestion passive. Ces leçons, certes moins affriolantes que les dernières rumeurs sur la bourse, offrent toutefois des pistes pour guider le choix des investisseurs vers une meilleure santé financière.