La dérive des ETF thématiques

Cette chronique de Jean Keller est parue dans Le Temps du 16 novembre 2020. Lire l’article en PDF.

Soucieux d’améliorer leurs marges dans un marché dominé par une lutte des prix sans merci, les marchands d’ETF offrent désormais des produits thématiques permettant de parier sur n’importe quelle tendance ou idée d’investissement. Chers et décevants en termes de performance, ils semblent toutefois plus intéressants pour leurs émetteurs que pour les investisseurs.

Les ETF constituent certainement l’une des innovations financières les plus importantes des 30 dernières années. Offrant une exposition passive aux marchés pour un coût minime, ils ont connu un développement fulgurant et représentent désormais près de 25% des actifs gérés dans le monde. En Suisse, ils totalisent plus de 12% des actifs sous gestion, pour un total de plus de CHF 153 milliards.

Mais cette croissance s’est faite au prix d’une sanglante guerre des prix entre les émetteurs de ces produits indicés. C’est ainsi que pour des ETF investis sur le S&P 500, les frais de gestion ne dépassent pas 0.03%, un niveau tellement bas que même les immenses volumes traités par les géants du secteur suffisent à peine à les rendre rentables.

La vague des ETF thématiques

Pour tenter de reconstituer leurs marges, les émetteurs se sont donc mis à lancer des ETF thématiques axés sur des niches plus étroites et donc moins concurrentielles. Qu’il s’agisse du véganisme, du cannabis, de la lutte contre l’obésité, voire des valeurs chrétiennes ou naturellement du COVID-19, quelle que soit l’idée d’investissement, il existe aujourd’hui un ETF permettant de parier sur cette tendance. Selon Morningstar, il existe ainsi plus de 800 ETF thématiques dans le monde, avec des actifs en gestion dépassant USD 183 milliards.

Des performances très décevantes

Malheureusement, vendus principalement à des petits investisseurs dont les attentes sont parfois irrationnelles, ces ETF thématiques ont des performances souvent décevantes, comme le montre une étude à paraître prochainement co-signée par Francesco Franzoni de l’Université de la Suisse italienne à Lugano[1]. Ainsi, sur les 5 ans qui suivent leur lancement, ces ETF thématiques ont sous-performé de 20% en moyenne par rapport à des stratégies basées sur les indices plus larges.

L’une des explications de ces mauvais résultats tient dans le fait que ces produits surfent souvent sur des vagues en fin de course, investissant dans des thèmes à la mode, représentés par des titres se traitant au plus haut après un important battage médiatique. De fait, une fois qu’un thème porteur a été identifié par les services de marketing, qu’un indice approprié a été mis en place, que l’ETF a été approuvé et coté en bourse et que la vente au public commence enfin, il y a fort à parier que l’engouement se soit refroidi et que le marché ait trouvé une nouvelle marotte.

Des frais très élevés

Un autre facteur pesant sur la performance de ces produits est celui des frais. En effet, alors que le principe même d’un ETF est d’offrir une exposition à bas coût à une classe d’actifs, les frais prélevés par ces produits thématiques atteignent souvent 0.75%, ce qui les rend finalement très proches des fonds gérés activement. Il en résulte que, même si leurs actifs sont encore bien inférieurs, les ETF thématiques génèrent pour leurs émetteurs des revenus similaires aux ETF classiques.

Des produits qui n’ont plus d’ETF que le nom

Si l’on comprend bien l’intérêt qu’ont les émetteurs à récupérer sur ces produits en vogue les revenus qu’ils perdent sur les produits plus standardisés, on peut tout de même se poser la question de leur intérêt pour les investisseurs, d’autant que ces fonds semblent contrevenir au principe même d’un ETF, à savoir offrir une exposition efficace et bon marché à un marché donné.

Alors que les tenants de la gestion passive ne se sont pas privés de critiquer sévèrement les « closet indexers », ces fonds prétendûment actifs qui faisaient payer au prix fort une gestion pratiquement indicée, il ne faudrait pas que l’industrie des ETF cherche à améliorer ses marges avec des produits qui n’ont d’ETF que le nom.

Et si la gestion passive et les produits indicés ont effectivement un rôle à jouer, on peut se poser la question de savoir si l’oligolipolisation de la gestion d’actifs, qui nous faisait miroiter une baisse massive des coûts pour les investisseurs, n’est pas en réalité une fausse promesse qui se fait au détriment de la performance et donc de la santé financière des investisseurs. Cela est d’autant plus important que de plus en plus d’études académiques tendent à montrer que la gestion active a encore des atouts à faire valoir et que le critère déterminant de toute gestion n’est pas son coût, mais bien sa performance nette pour l’investisseur, après déduction des frais de gestion.

Plus que le maintien de marges bénéficiaires de quelques géants anglo-saxons, c’est bien la maximisation de la rentabilité nette pour les investisseurs, qu’ils soient privés ou institutionnels, qui doit rester le but économique majeur de l’industrie de la gestion d’actifs.

[1] “The Two Faces of Financial Innovation: Walmart vs. Starbucks”, Itzhak Ben-David, Francesco Franzoni, Byungwook Kim, and Rabih Moussawi, October 2020.