La gestion active pour sauver le climat ?

Cette chronique de Jean Keller est parue dans Le Temps du 16 août 2021. Lire l’article en PDF.

Avec les catastrophes climatiques qui se succèdent, il est clair que notre planète va de plus en plus mal. Face à l’urgence de la situation, la finance se fait plus durable et l’investissement responsable devient progressivement la norme. Mais les investisseurs doivent faire le choix de la gestion active, qui seule peut avoir un réel impact.

Cet été, avec la publication du dernier rapport du GIEC sur les conséquences dramatiques de l’activité humaine sur notre planète, la discussion sur le climat s’invite aux premières loges et les nouvelles sont particulièrement inquiétantes. En effet, il ne fait plus de doute aujourd’hui que, faute de réaction énergique, la température de la Terre va augmenter de façon significative, avec des conséquences dramatiques que l’on commence à percevoir dans notre vie quotidienne. Il faudrait être ermite pour ignorer les ravages causés en Grèce et en Turquie par les incendies gigantesques déclenchés par une canicule sans précédent ou les dévastations provoquées par les inondations en Allemagne et dans le nord de l’Europe.

Une prise de conscience généralisée

Face à cette problématique majeure, qui risque de transformer radicalement notre manière de vivre pour le très long terme, la très large majorité de la population ressent l’urgence absolue de trouver une solution au problème des émissions de CO2. Hélas, les pistes sérieuses pour mobiliser l’action collective de manière efficace et la transformer en actes tangibles manquent encore cruellement.

La finance devient durable

Qu’elle s’exprime à travers les opérations coup de poing du mouvement Extinction Rebellion ou du tollé (largement justifié) suscité par la politique d’investissement de la Banque Nationale Suisse, l’idée que les banques et les services financiers portent une part importante de culpabilité, en raison de leur rôle dans le financement des industries polluantes, commence à faire son chemin dans l’opinion publique. Placée devant ses responsabilités, la finance a réagi et largement entamé une transition importante vers un investissement plus responsable. Tout d’abord, elle offre désormais des produits financiers qui prennent en compte les questions de durabilité et l’impact potentiel des investissements sur le climat. De fait, le foisonnement de nouveaux fonds dits durables et de produits « ESG » a été l’un des changements les plus remarquables de ces cinq dernières années. C’est particulièrement notable en Europe, largement en avance sur ce plan par rapport aux autres continents. A cet égard, la place financière suisse a également largement pris sa place, avec des initiatives telles que la conférence « Building Bridges » à Genève et la transformation très rapide de plusieurs acteurs de la gestion active vers la « durabilité ».

Par ailleurs, les autorités européennes ont rapidement fait évoluer leur réglementation, en instaurant une transparence permettant aux investisseurs de mieux comprendre et comparer les différents produits, ainsi qu’en contraignant les acteurs de l’industrie des services financiers à tenir compte des risques climatiques et à communiquer clairement sur la manière de les appréhender sur le long terme. A cet égard, il faut s’attendre à ce que le nouveau règlement européen SFDR serve de modèle à d’autres places financières, notamment en Suisse, comme le laisse d’ailleurs prévoir le rapport du Conseil fédéral sur le développement durable du secteur financier suisse, publié en juin dernier.

Développer un capitalisme responsable

Ces changements n’ont toutefois pas suffi à apaiser la pression de la rue et les dernières actions des activistes du climat contre les banques ont fait la une de la presse cet été. Pourtant, au-delà de leur aspect spectaculaire, ces manifestations ne semblent avoir que peu d’influence sur le cours des choses et troublent au contraire le vrai débat sur la finance durable. Car la solution se situe bien plus dans le développement d’un capitalisme responsable, capable de prendre des décisions qui ne soient pas uniquement déterminées par des critères financiers et à court terme. A cet égard, le fort développement de la gestion passive, des produits indiciels et autres ETF – qui représentent déjà dans la plupart des marchés plus de 50% des montants investis en actions – a un effet négatif. En effet, avec de tels produits, l’investisseur abdique complètement sa responsabilité actionnariale. Étant donné que l’investissement dans les entreprises qui composent l’indice est automatique, leurs dirigeants n’ont plus véritablement de comptes à rendre à leurs actionnaires. Devenus de simples tigres de papier, ceux-ci n’influencent plus matériellement les choix stratégiques de la direction, qui est ainsi libre de déterminer sa politique de manière autonome, sans sanction du marché. Certes, les grands gérants passifs sont conscients de cette faiblesse et tentent d’y remédier, mais les progrès sont pratiquement inexistants. Et surtout, lorsque les investisseurs ne peuvent plus voter avec leurs pieds ou plutôt avec leur capital, par exemple en sortant des sociétés trop impliquées dans la production de gaz à effet de serre, c’est l’esprit même du capitalisme qui est vidé de son sens.

Gérer, c’est faire des choix

Ainsi, il important de rappeler aujourd’hui que l’essence même de la gestion, c’est de faire des choix relatifs, en allouant le capital aux segments les plus désirables ou rentables de l’économie. Pendant des lustres, ces choix ont malheureusement été faits dans le seul but de maximiser de la valeur actionnariale, avec les conséquences négatives que l’ont sait sur l’environnement et les conditions sociales. Aujourd’hui, la combinaison d’une gestion véritablement active et d’un retour à un capitalisme inclusif et soucieux de durabilité semble être bien mieux à même de résoudre les problèmes pressants auxquels l’Humanité doit faire face que l’organisation d’une partie de tennis dans les guichets d’une banque. Les produits « militants » existent et la gestion active est prête à relever ce défi. Le grand public peut ainsi faire ce choix et dès lors, avoir un impact direct sur les flux financiers et l’allocation de l’épargne. On rendra ainsi à la finance sa vraie fonction, celle d’allouer le capital en fonction des objectifs financiers ou durables.