Cet article est paru dans Le Temps du 08.07.2024.
A deux semaines de la votation du 24 septembre sur la réduction de la taxation de l’outil de travail des entrepreneurs, il n’est pas inutile de rappeler à quel point ce type d’impôt est injuste pour les sociétés du secteur et nuisible à notre place financière.
Pour mémoire, rappelons qu’une partie de la gauche a lancé un référendum contre une loi votée à une très grande majorité au Grand Conseil et qui prévoit une réduction de l’impôt sur la fortune pour les entrepreneurs détenant au moins 10% du capital-actions d’une société et qui travaillent dans l’entreprise. C’est ce que l’on appelle plus simplement la taxation de l’outil de travail. Cette réduction d’impôt ne toucherait que les actionnaires de sociétés non cotées, c’est-à-dire principalement les entrepreneurs dirigeant des petites et moyennes entreprises familiales. L’idée de cette réforme est d’aligner la pratique du canton de Genève (qui a, il faut le rappeler, le taux d’imposition sur la fortune le plus élevé de Suisse) sur celle des autres cantons suisses.
Un impôt disparu presque partout en Europe
Sans revenir en détail sur les mérites ou inconvénients de cette réforme que ses partisans ou adversaires ont déjà largement discuté, il n’est pas inutile de rappeler simplement que la Suisse est l’un des derniers pays à appliquer un impôt sur la fortune. De fait, la plupart des pays de l’Union Européenne ont supprimé ce type de perception fiscale qui équivaut à une double taxation. En effet, les salaires ou les dividendes ayant permis de constituer ladite fortune ont déjà été taxés une première fois à travers l’impôt sur le revenu. Cette double taxation est particulièrement problématique pour les retraités qui vivent essentiellement de leur épargne et ont peu de revenus récurrents. Dans le cas des entreprises non cotées vient s’ajouter une 3ème couche d’imposition, car les bénéfices de l’entreprise sont déjà taxés de leur côté.
Un calcul irréaliste qui freine l’innovation
Sans noyer le lecteur dans des détails techniques, il faut toutefois préciser que l’impôt sur l’outil de travail se base sur une valeur théorique de l’entreprise, issue de calculs complexes et qui n’est économiquement pertinente qu’en cas de revente. Or, de telles ventes sont très rares et l’impôt est donc calculé sur une valeur irréaliste et illiquide. En pratique, cela signifie que, pour pouvoir le payer, les entrepreneurs concernés sont souvent contraints de se verser des dividendes plus élevés que nécessaires, voire de réaliser des actifs afin de créer des liquidités. En conséquence, plutôt que d’investir dans leur outil de travail pour innover et pouvoir se développer, les propriétaires de PME sont donc incités à en retirer de la substance et à n’avoir qu’une vision à brève échéance. Au niveau du canton, il en résulte donc une diminution du potentiel de croissance et un affaiblissement du tissu économique.
Triple peine pour le secteur financier
La plupart des quelque 6’500 entreprises qui composent le secteur bancaire et financier genevois au sens large souffrent donc d’un grave désavantage compétitif, non seulement au niveau suisse mais également international. De fait, à Genève, le taux d’imposition maximum sur la fortune se monte à 1%, contre 0,1% seulement à Nidwald, soit 10 fois plus ! A cela s’ajoute le fait que de nombreux cantons – comme Vaud, Neuchâtel et Fribourg – prévoient des abattements allant de 30% à 60%, alors rien de tel n’existe dans notre canton.
A cette inégalité de traitement, il faut ajouter que les banques, les sociétés de gestion d’actifs et les gérants indépendants sont plus durement touchés par cette taxation sur l’outil de travail. En effet, pour des raisons légitimes en soi de protection des investisseurs et du système financier, les régulateurs leur imposent de maintenir des niveaux de capital et de réserve très élevés. Mais ces normes ont pour effet pervers non seulement d’augmenter la valeur théorique qui sert de base de calcul à l’impôt, mais également de limiter les entreprises financières dans les possibilités de versement de dividendes pour payer cet impôt.
Enfin, il faut rappeler que les résultats du secteur financier sont fortement liés à l’évolution des marchés. Ils sont donc par nature très volatils et largement hors du contrôle des propriétaires des entreprises. Cela signifie par exemple, qu’à la suite d’une année de perte, ceux-ci ne pourront pas se verser de dividende et devront donc liquider des actifs personnels pour régler leur impôt.
Bref, au moment de voter, les Genevois devraient garder à l’esprit qu’il est essentiel de défendre la place financière. En effet, le secteur représente près de 38’000 emplois et une part de 13,1% du PIB du canton. Il est donc dans l’intérêt de tous de créer des conditions favorables qui lui permettent d’investir et d’innover, et donc de se développer face à une concurrence internationale toujours plus féroce.