L’avenir divergent de l’ESG

Les perspectives de l’investissement durable divergent à l’échelle mondiale. Si elles sont poussées en avant par la réglementation en Europe et dans certaines parties de l’Asie, plus particulièrement en Chine, elles sont en revanche largement remises en question aux Etats-Unis, du fait de controverses politiques croissantes.

En Europe la réglementation s’affine

La fin de l’année 2022 a été marquée par la mise en œuvre du niveau 2 de la SFDR, et avec elle, par de nouvelles obligations de publication des objectifs, des processus, des engagements de suivi et des sources de données ESG. La réglementation a continué d’évoluer et d’importantes questions en suspens ont été envoyées à la Commission européenne par les régulateurs des différents pays. Cette incertitude a entraîné une vague de déclassements de fonds, principalement de l’article 9 vers l’article 8, de la part de nombreuses sociétés de gestion dont Blackrock, Invesco, BNP Paribas, Robeco et Amundi. Bon nombre de ces fonds sont des ETF qui calculent les émissions de carbone des entreprises présentes dans leur portefeuille afin de les réduire annuellement, en fonction de normes climatiques spécifiques déterminées par la Commission européenne. Quand la Commission européenne a précisé que les fonds relevant de l’article 9 ne devaient être investis que dans des « investissements durables », il est devenu évident que ces fonds ne pouvaient prétendre à l’appellation « article 9 ». D’autres fonds ont également été déclassés, notamment les fonds thématiques de Pictet, tels que les fonds SmartCity et Human. La plupart des fonds article 9 restants sont très clairement poussés à investir dans des entreprises ou des actifs qui contribuent aux objectifs de durabilité.

Cette année, tous les fonds articles 8 et 9 devront présenter un rapport annuel avant la fin du mois de juin. Il s’agira de rendre compte des indicateurs de durabilité décrits dans les documents émis en 2022. Le temps de la transparence est venu : si les indicateurs ne correspondent pas à la stratégie présentée dans le prospectus, les investisseurs le verront rapidement. La grande question pour 2023 sera de savoir comment les investisseurs vont utiliser ces informations et si les capitaux vont effectivement affluer vers les fonds qui ont les approches ESG et Impact les plus sérieuses – comme on devrait s’y attendre. D’autres évolutions de la réglementation seront mises en place pour continuer à réduire le greenwashing – par exemple une proposition sur les noms est à l’étude, elle imposera des règles strictes aux fonds dont le nom contient des termes liés à l’ESG.

Des messages clairs ont été envoyés en Chine

Au cours des derniers mois, le régulateur des banques et des assurances a envoyé un signal très fort (le plus fort à ce jour) en faveur de l’économie verte et a émis une série de directives qui exigent que banques et assurances établissent des stratégies, des processus et des moyens pour soutenir la transition vers un avenir durable. Cela inclut l’incorporation des facteurs ESG dans la gestion des risques et les décisions d’investissement, ainsi qu’un engagement actif (« stewardship ») incitant les entreprises à la transition verte. À partir du début de l’année 2022, les entreprises chinoises cotées en bourse devront communiquer annuellement une série d’informations environnementales, dont leurs émissions de carbone. Le mois dernier, le régulateur de la gestion d’actifs, l’Asset Management Association of China (AMAC), a publié un projet de règlement qui exigera qu’au moins 60% des investissements dans des fonds se présentant comme verts soient alignés sur la description verte. L’AMAC cherche elle aussi à dégonfler la bulle du greenwashing dans le secteur. Au moins sur le plan environnemental, les progrès sont évidents.

Alors qu’aux États-Unis, la durabilité devient politique

Aux États-Unis, une image très différente se dessine. Certains membres du parti républicain considèrent l’ESG et l’investissement durable comme une question hautement politique. Le personnel républicain de la commission bancaire du Sénat américain a publié le mois dernier un rapport alléguant que les trois grands gérants d’actifs – BlackRock, State Street et Vanguard – utilisaient leur pouvoir de vote pour faire avancer un programme politique libéral. Lors de l’audition de la commission, un sénateur républicain a déclaré : « Ces activistes ont compris que les politiques radicales qu’ils n’ont pas réussi à faire adopter par le gouvernement peuvent être imposées aux entreprises américaines en détournant les droits de votes des millions de comptes de retraite de la population américaine. »

Au moins sept États contrôlés par les Républicains, tels que l’Arizona et la Caroline du Nord, ont promis de retirer des milliards de dollars à ces gérants d’actifs en raison de leurs politiques de durabilité. Vingt-trois États se sont mobilisés d’une manière ou d’une autre (y compris une motion signée par 14 procureurs généraux) pour empêcher Vanguard d’acquérir des actions dans des sociétés énergétiques, par crainte que le gérant les incite à réduire leurs émissions. Des groupes conservateurs, tels que Consumers’ Research, lancent des campagnes agressives visant à ternir la réputation de sociétés « vertes », dont BlackRock, et de sociétés telles que Coca-Cola qui ont un discours « vert ».

Si certains plient l’échine – comme Vanguard qui a décidé de se retirer de l’initiative Net Zero Asset Manager -, d’autres gérants se défendent bec et ongles et investissent des sommes considérables dans la communication. Ron O’Hanley, PDG de State Street, a déclaré dans une interview au Financial Times : « Pour nous, il ne s’agit pas d’une question politique. Il ne s’agit de rien d’autre que d’intégrer le climat dans la gestion des risques de nos investissements. »

Malgré des contextes très différents à l’échelle mondiale, nous nous attendons à voir des similitudes dans certaines tendances. En particulier, les sociétés de gestion et les PDG d’entreprises pourraient à l’avenir faire preuve d’un peu plus de prudence dans leurs messages et se concentrer davantage sur la pertinence de la durabilité. Comme le décrit le Financial Times, plutôt qu’à du « greenwashing », nous pourrions assister à du « greenhushing », c’est-à-dire à passer sous silence les efforts environnementaux et sociaux.

Comme l’a déclaré le PDG de Coca-Cola à Davos en janvier dernier : « Si l’expression ESG devient toxique – ce qui est le cas aux États-Unis – cela m’est égal. Je vais arrêter de dire ESG. Mais si je veux faire évoluer mon produit [le Coca-cola], en veillant à le produire avec une consommation d’eau minimale, en recyclant les matériaux et en utilisant moins de sucre – vous pouvez appeler cela comme vous voulez mais personne, en toute honnêteté, ne peut dire que ce sont de mauvaises idées. »

Au delà des termes, les risques sont bel et bien présents

Peut-être que l’expression « ESG » a fait son temps. Elle a toujours été une description simplifiée (simpliste ?) d’une palette extrêmement complexe et large de différentes considérations et une notion souvent mal comprise. Il n’en reste pas moins que les questions environnementales et sociales n’ont jamais été aussi importantes et urgentes, comme le prouve l’enquête annuelle sur les risques menée par le Forum économique mondial auprès des dirigeants mondiaux, qui place les questions environnementales et sociales parmi les 8 premiers risques à court et à long terme. Nous devrons simplement trouver des moyens plus sophistiqués d’en parler.