Le week-end dernier, une start-up chinoise spécialisée dans l’IA, fondée par le gérant quantitatif Liang Wenfeng, a dévoilé une nouvelle version de son outil LLM (Large Langage Model), baptisé DeepSeek. Selon les premières informations, les performances de DeepSeek seraient comparables à celles de ses concurrents américains tels qu’OpenAI et Meta.
La principale différence réside toutefois dans le fait que DeepSeek affirme que son modèle nécessite moins de puces à haute performance (par exemple celles produites par Nvidia), et pourrait ainsi consommer nettement moins d’énergie. Bien que la réduction exacte de la consommation énergétique n’ait pas encore été chiffrée, ces avancées soulèvent plusieurs questions pour les investisseurs :
- Le marché des modèles d’IA continuera-t-il d’être dominé par des entreprises américaines alors que de nouveaux concurrents plus avancés émergent ?
- Quelles conséquences pour les dépenses d’investissement (Capex) des hyperscalers, sachant que les investissements liés à l’IA par les grandes sociétés technologiques américaines ont atteint près de 224 milliards de dollars[1] l’an dernier ?
- Au-delà du hardware et des logiciels, quelles répercussions pour le secteur des centres de données ?
- Quelles incidences pour l’industrie américaine de l’énergie ?
En tant qu’investisseurs en infrastructures, nous ne disposons pas de l’expertise requise pour répondre à la première question, laquelle relève davantage de la compétence des gérants spécialisés dans les technologies et le suivi des évolutions des modèles d’IA. En revanche, nous pouvons donner notre point de vue sur les questions suivantes.
Impact sur les dépenses d’investissement (Capex) des hyperscalers
Au cours des cinq dernières années, les dépenses d’investissement des grandes sociétés technologiques américaines ont explosé, passant d’environ USD 80 milliards à USD 220 milliards en 2024. La majeure partie de ces dépenses a été consacrée à des projets liés à l’IA, notamment le hardware (par exemple, le chiffre d’affaires de Nvidia est passé de USD 12 milliards à USD 129 milliards sur la même période), les centres de données ainsi que la recherche et le développement.
Si les modèles d’IA deviennent sensiblement plus efficaces, nous nous attendons à ce que le secteur devienne moins gourmand en capital, toutes choses étant égales par ailleurs. Cela pourrait alors se traduire par une baisse des coûts de l’IA, tant pour les hyperscalers que pour leurs clients, ce qui risque toutefois de se faire au détriment de l’industrie des composants destinés à l’IA.
Quelles conséquences pour l’industrie du hardware ?
Si les performances et les coûts annoncés par DeepSeek sont confirmés, les hyperscalers pourraient réévaluer leurs dépenses en composants (hardware). En effet, si un nombre réduit de puces – voire des modèles plus anciens – suffit à faire fonctionner les produits d’IA de manière équivalente, pourquoi acheter des millions de puces Nvidia de dernière génération ?
Au-delà des composants, répercussions pour les centres de données
Si les outils d’IA LLM deviennent nettement plus économes en énergie, nous nous attendons à un impact neutre, voire positif, sur le secteur des centres de données. En tant qu’investisseurs en infrastructures, nous restons relativement indifférents à la technologie d’IA utilisée. Les opérateurs de centres de données répercutent en général les coûts d’électricité sur leurs clients, de sorte qu’une baisse de la consommation d’énergie liée à l’IA pourrait encourager une utilisation accrue des espaces dans les centres de données.
À l’heure actuelle, le principal frein à la construction de nouveaux centres de données – en particulier aux États-Unis – est la disponibilité limitée de l’énergie. Cette pénurie a donné lieu à une véritable « ruée vers l’électricité », les hyperscalers recherchant des contrats d’approvisionnement à long terme, négociés à des prix élevés. À titre d’exemple, la dernière puce Blackwell de Nvidia peut exiger entre 60 kW et 120 kW par baie (rack), ce qui génère une forte demande en énergie.
Si les futurs modèles d’IA consomment moins d’énergie, les centres de données seront gagnants. En effet, une même quantité d’électricité permettra d’alimenter davantage de baies, augmentant ainsi la demande d’espace tout en réduisant la pression liée à l’approvisionnement en énergie.
Conséquences pour l’industrie de l’énergie aux États-Unis
Sur la base des affirmations de DeepSeek concernant l’amélioration de l’efficacité énergétique des modèles d’IA, les besoins en électricité du secteur de l’IA aux États-Unis pourraient être moins importants que prévu. Aux États-Unis, on anticipe que le secteur de l’IA consommera environ 100 TWh d’ici à 2027, à comparer à une consommation totale d’environ 4 200 TWh en 2022[2]. Entre 2024 et 2025, les attentes élevées concernant la demande en électricité liée à l’IA ont entraîné une forte hausse des prix de l’énergie à l’échelle nationale.
Les producteurs indépendants d’énergie (IPP) américains ont profité de cette tendance en signant des contrats de longue durée à des prix élevés avec des entreprises technologiques souhaitant assurer leurs besoins en électricité pour leurs futurs projets d’IA. L’anticipation de nouveaux contrats lucratifs a dopé les cours des actions de ces IPP en 2024-2025 (Constellation Energy +199%, Vistra Energy +401%, Talen Energy +283%, NRG Energy +123%[3]). Si la demande en électricité de l’IA devait baisser, ces entreprises pourraient faire l’objet de prises de bénéfices, car les prévisions de nouveaux contrats à long terme et à prix élevé seraient révisées à la baisse.
Conclusion
La course à l’efficacité des modèles d’IA s’accélère, et la nouvelle version de DeepSeek illustre cette tendance en mettant directement en cause la domination américaine dans le domaine. Bien que le coût de développement et les économies d’énergie exactes restent à confirmer, de telles améliorations en matière d’efficacité pourraient se révéler neutres, voire positives, pour les opérateurs de centres de données, compte tenu du fait que la limitation principale ne serait plus l’énergie mais plutôt l’espace.
En revanche, pour les producteurs d’électricité – en particulier ceux qui ont récemment bénéficié de la croissance de la demande liée à l’IA – les perspectives pourraient s’avérer moins favorables. Les besoins à long terme en électricité pour l’IA risquant d’être revus à la baisse, la justification de nouveaux contrats à prix élevés pourrait s’affaiblir.
À ce jour, notre fonds, QCF (Lux) – Infrastructure Securities, détient des participations dans trois entreprises de centres de données, représentant 11 % de nos actifs, et est exposé de manière limitée aux sociétés productrices d’électricité telles que NextEra Energy et Entergy.
[1] Source: Bloomberg
[2] Source: Morgan Stanley
[3] Source: Bloomberg (données du 31.12.2023 au 24.01.2025 sur la base du rendement total)