Les deux buzzwords chinois du moment : « neijuan » ou « tang ping »

Le jour où le gouvernement chinois a annoncé que les familles pourraient avoir trois enfants au lieu de deux, les titres de nombreuses compagnies liées à la petite enfance et aux traitements de l’infertilité ont bondi. Ce « feu vert » officiel suffira-t-il à modifier la démographie de l’Empire du milieu ? Rien n’est moins sûr car la politique de l’enfant unique a laissé des traces. En particulier une ultra-compétitivité de l’éducation des enfants en Chine, entraînant un malaise social connu sous le nom de neijuan – déjà passé dans de vocabulaire anglais sous le nom d’« involution ».

Qu’est-ce que l’involution ? L’involution est une fuite en avant, une course infernale à la méritocratie qui commence dès le plus jeune âge (pensez à l’image du hamster qui court de plus en plus vite dans sa roue) : les élèves sont inscrits à des cours de soutien bien avant l’entrée au jardin d’enfants, dans l’espoir d’accéder aux meilleures écoles tout au long de leur parcours scolaire. A cette fin, les parents économisent et mettent en commun leur argent avec celui des grands-parents pour acheter un logement près d’une bonne école. Pour financer le parcours scolaire de leur progéniture, ils travaillent sur le mode « 9-9-6 » (de 9h du matin à 9h du soir, 6 jours par semaine).

En Chine, point de réussite sans sécurité, exprimée par l’accumulation de richesse ou par un emploi au sein du gouvernement. Et, grâce à des milliers d’années d’histoire méritocratique, seules les bonnes notes permettent d’accéder au Graal. Ainsi, l’archétypique de l’épargnant chinois n’a que 2 bonnes raisons d’ouvrir son portefeuille : acquérir un bien immobilier et financer la formation de ses enfants. La plupart savent que c’est une course sans fin – peut-être même vaine – et que la pression qu’ils s’imposent est difficilement soutenable mais ils ne peuvent s’en empêcher. C’est le fondement du rêve chinois… et il est en train de s’effondrer.

Certains jeunes, surtout les plus aisés, choisissent tout simplement d’abandonner leurs études. Ils appellent cela « tang ping » (qui sonne un peu comme « tant pis » en français d’ailleurs), qui signifie s’allonger, littéralement (se) laisser tomber et profiter de la vie. Comme la génération « Turn On, Tune In, and Drop Out » des années 60, ces jeunes choisissent de vivre au jour le jour. Heureusement pour l’économie chinoise, il s’agit plus d’hédonisme que de nihilisme et s’exprime par une indulgence pour les divertissements en ligne et les achats « tendances » plutôt que pour la drogue et le sexe.

Si le gouvernement chinois déplore l’involution, il ne voit pas non plus d’un bon œil le « tang ping ». Certes, ce mouvement qui privilégie un confort personnel et individuel a tendance à augmenter la consommation domestique, mais il ne fait ni la promotion du mariage ni celui de la famille. Au cours de la dernière décennie, la croissance démographique de la Chine a augmenté à un taux annuel moyen de 0,53%, le taux le plus bas depuis 1953. Le taux de mariage en Chine a chuté pour la sixième année consécutive à 6,6 pour 1 000 personnes, le niveau le plus bas depuis 14 ans. Le plus grand défi pour l’économie chinoise n’est pas de savoir si les Chinois vont devenir riches, mais à quelle vitesse et à quel point ils vont vieillir avant de devenir riches.

Le défi démographique est de taille et les autorités chinoises sont déterminées à encourager la population à avoir plus d’enfants. Elles ont commencé à prendre des mesures qui visent tout particulièrement le secteur de l’éducation : interdictions des cours en ligne pour les enfants de moins de 6 ans, restrictions sur les devoirs à domicile et licence obligatoire pour tous les enseignants. Elles envisagent la possibilité d’interdire les cours dispensés le week-end et pendant les vacances. Par ailleurs, le gouvernement chinois exerce une pression déflationniste sur tous les coûts qui entravent la natalité, comme les coûts de l’immobilier, de l’éducation et des soins de santé.

Mais de l’oppression naît la créativité. Un agent immobilier de Shenzhen affiche une liste de prix composés de durians (1 durian = RMB 10m = CHF 1.4m environ) et de bananes (1 banane = RMB 1m) pour indiquer aux acheteurs les prix réellement demandés mais qui ne peuvent pas être imprimés sous forme de chiffres – car la réglementation locale n’autorise que des prix dits « de référence » bien inférieurs aux prix réels. Un autre vendeur propose des biens au prix de référence mais impose à l’intéressé d’acheter également un tableau, qu’il a peint lui-même, pour la coquette somme de RMB 3m s’il veut devenir propriétaire. Des répétiteurs privés ont trouvé un accord avec des écoles publiques pour utiliser les salles de classe en dehors des heures de cours, ce qui permet de faire passer leurs cours dans le programme scolaire et non comme soutien après l’école.

Nous sommes sceptiques quant à l’efficacité des mesures prises par les autorités sur le long terme mais, pour notre portefeuille en actions chinoises, nous restons en dehors des secteurs de l’éducation et de l’immobilier.