Les perspectives ont-elles changé pour les combustibles fossiles ?

2022 a été l’une des années les plus fructueuses pour l’industrie pétrolière et gazière. On estime qu’elle a réalisé des recettes de 4 000 milliards d’USD, contre une moyenne de 1 400 à 1 500 milliards d’USD les années précédentes. Les six plus grandes compagnies pétrolières occidentales ont gagné plus d’argent qu’au cours de n’importe quelle année de l’histoire de l’industrie : plus de 200 milliards d’USD.

La dynamique qui sous-tend cette année exceptionnelle est assez simple : l’invasion de l’Ukraine s’est ajoutée aux perturbations de l’approvisionnement dues à la pandémie mondiale, ainsi qu’aux faibles niveaux d’investissement.

Cependant, il convient de souligner également le rôle des subventions gouvernementales. Alors que, lors de la COP26 à Glasgow en 2021, les États ont accepté de réduire les subventions liées aux combustibles fossiles, celles-ci ont doublé en 2022 pour atteindre le montant record de 1 000 milliards de dollars (deux fois le montant consacré aux énergies renouvelables en 2022), selon le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié le mois dernier, sans compter les 500 milliards de dollars dépensés pour réduire les factures d’énergie. Ces subventions ont été utilisées pour maintenir un prix artificiellement inférieur au prix réel du marché des combustibles fossiles, protégeant ainsi la demande et permettant des profits records.

Subsides annuels par type d’énergie en milliard de USD

Source: AIE, 2023

Une transition bien chahutée

Pour réussir la transition vers le net zéro, il faut non seulement supprimer progressivement les subventions aux combustibles fossiles mais aussi investir dans les capacités et les technologies de transition.

Or depuis le début de la guerre en Ukraine, beaucoup de gouvernements encouragent également les grands groupes pétroliers et gaziers à investir dans de nouveaux projets au niveau local afin de garantir l’approvisionnement national.

BP a récemment annoncé qu’elle allait revoir à la baisse ses objectifs de réduction des émissions de carbone pour augmenter ses investissements dans la production pétrolière. Face à la violente réaction des défenseurs du changement climatique, l’entreprise a revu ses plans et prévoit désormais de maintenir ses investissements dans les énergies renouvelables et les efforts de réduction des émissions – tout en gardant son objectif initial d’augmenter les dépenses d’investissement dans l’exploitation des combustibles fossiles, un thème que l’on retrouve chez d’autres grandes entreprises pétrolières et gazières.

La bioénergie, l’hydrogène et la recharge des véhicules électriques sont des domaines privilégiés par BP, alors que d’autres, notamment aux États-Unis, se concentrent uniquement sur la réduction des émissions liées à la production de combustibles fossiles (ces efforts sont attendus depuis longtemps et pourraient avoir un impact significatif sur les émissions de méthane).

Le message contradictoire, qui consiste à augmenter les investissements dans les combustibles fossiles tout en investissant dans la décarbonisation, démontre le défi croissant que représente la transition. Alors que la complexité de la transition vers une économie net zéro est immense, le facteur supplémentaire de la sécurité et de l’indépendance énergétique domine désormais les conversations.

Une croissance de l’offre fossile est-elle nécessaire ?

BP prévoit que sa production de pétrole et de gaz restera relativement stable jusqu’en 2025. Chevron et Exxon prévoient, quant à elles, une croissance de la production de 3 % par an jusqu’en 2027.

Quel que soit le scénario (l’AIE en a développé 3), le besoin d’approvisionnement en pétrole est important mais le rythme d’évolution de la demande de pétrole varie énormément en fonction des hypothèses de transition.

Le scénario « Net Zero Emissions » (NZE) montre que, pour atteindre le niveau zéro d’ici 2050 et limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous n’avons pas besoin de nouvelles explorations, mais seulement d’exploiter les gisements de pétrole et de gaz existants.

Dans le scénario des engagements annoncés (APS), qui suppose que tous les objectifs et engagements des pays sont atteints dans les délais et dans leur intégralité, la demande atteindra un pic au cours des prochaines années avant de diminuer.

Enfin, dans le scénario des politiques déjà en place (STEPS), qui n’intègre que les politiques soutenues par la législation existante, la demande n’atteindra pas son maximum avant plus de dix ans.

 

Source: AIE, 2022

Secteur ayant le plus de potentiel de réduction de consommation de pétrole : le transport routier

Si l’on examine les scénarios en détail, le principal moteur de la réduction de la consommation de pétrole sera probablement le segment du transport routier, qui représente près de 50 % de la demande mondiale de pétrole. Les grands engagements nationaux en faveur de l’élimination progressive des moteurs thermique sont inclus dans le scénario APS. Ce scénario suppose qu’une voiture neuve sur deux vendue aux États-Unis, dans l’UE et en Chine sera un véhicule électrique (VE) d’ici à 2030. Cette hypothèse est-elle raisonnable ? L’industrie franchira-t-elle un point de basculement après lequel l’infrastructure des véhicules à moteur thermiques commencera à disparaître et la demande s’accélérera ?  Les autobus sont déjà sur la bonne route, bien avant les voitures individuelles, et les camions ne sont pas loin derrière. Pour mettre les choses en perspective, en 2022, la Chine affichait un taux de pénétration des VE de 28 % pour les voitures particulières neuves, tandis que l’Europe affichait un taux de pénétration de 20 % et que les États-Unis étaient à la traîne avec 5,8 %. Bien sûr, le parc automobile évoluera plus lentement que les nouvelles ventes, mais cela commencera également à avoir un impact sur les marchés en développement qui importent souvent des véhicules plus anciens en provenance des marchés occidentaux.

La question clé est de savoir si le passage tant attendu des moteurs thermiques aux VE se fera à un rythme régulier ou si l’adoption s’accélérera lorsque le marché aura franchi un point de basculement. De nombreux constructeurs automobiles s’attendent à un passage plus rapide aux VE, en particulier pour les voitures haut de gamme, et l’adoption plus rapide dans le segment du marché de masse de l’industrie dépend en grande partie de la réduction continue des coûts de la technologie utilisée dans les véhicules électriques. En cas d’avancées technologiques, une prévision de pénétration de 50 % pourrait bien sous-estimer le rythme de ce changement futur.

La bonne fortune récente de l’industrie pétrolière et gazière n’affecte pas, à notre avis, ces scénarios et ce que nous considérons comme l’inévitable montée en puissance de la réponse politique. L’industrie devra se décarboner ; la question sera de savoir comment elle gérera le déclin du pétrole.