Quel avenir pour la gestion durable ?

Cet article est paru dans Le Temps du 02.12.2024.

La 5ème édition de la conférence Building Bridges se tiendra dans quelques jours à Genève et le moment est donc peut-être venu de se poser la question de l’avenir de la gestion responsable. En effet, après avoir connu un développement fulgurant, l’investissement durable ne semble plus avoir autant les faveurs des investisseurs. Son avenir se trouve peut-être moins dans l’exclusion et l’analyse du passé que dans l’évaluation de l’impact futur des actions d’une entreprise.

Retour de balancier ?

Alors que la montée en puissance des mouvements conservateurs – dont l’élection de Donald Trump n’est que le dernier exemple – risque d’entraîner un ralentissement du développement des énergies renouvelables et de la décarbonisation de l’économie, il semble légitime de se demander si le soufflé de l’investissement ESG n’est pas en train de retomber. De fait, si les fonds durables européens ont enregistré des entrées de fonds positives pendant les neuf premiers mois de l’année, ce mouvement touche plutôt les fonds obligataires et concerne essentiellement les fonds « vert clair » de l’article 8 du SFDR, au détriment des produits « vert foncé » se réclamant de l’article 9 bien plus exigeant et vertueux. Concrètement, selon la base de données Morningstar, si les fonds européens soumis aux articles 8 et 9 représentent près de 61% du marché de l’UE, leur croissance ralentit. Ainsi, si les fonds ESG européens ont engrangé USD 37 milliards au cours des 9 premiers mois de l’année, cela ne représente que la moitié des entrées de la même période de l’an passé. Autre signe intéressant : de nombreuses maisons de gestion renoncent à la classification sous l’auspice de l’article 9 du fait des contraintes importante liées à cette classification.

Une réglementation trop stricte

Il faut dire que la réglementation sur l’investissement durable est devenue de plus en plus lourde et exigeante. Alors qu’elle se concentrait au départ sur la transparence des données et la communication, elle met désormais l’accent sur des définitions strictes et des seuils spécifiques à respecter. Certes, une telle approche quantitative facilite le contrôle et l’évaluation et il est donc compréhensible qu’elle convienne aux régulateurs. Toutefois, certaines de ces règles peuvent se révéler trop restrictives, ce qui peut conduire à exclure de l’univers investissable des entreprises non seulement financièrement attractives, mais aussi intéressantes du point de vue de leur impact durable. Ainsi, un fonds qui se dit durable doit désormais exclure toute société qui tire 50% ou plus de ses revenus de la production d’électricité dont l’intensité en GES est supérieure à 100g CO2e/kWh, indépendamment des objectifs spécifiques de l’entreprise. Or, il semble absurde d’accepter, d’une part, un producteur d’électricité alimenté à 45% par des combustibles non renouvelables mais qui n’a pas l’intention de décarboniser davantage et, d’autre part, de rejeter une compagnie électrique dont la production d’électricité est, certes, alimentée à 51% par des énergies fossiles, mais qui a mis en place un plan de décarbonisation important et rapide .

Une pantoufle de verre trop raide

Un carcan aussi rigide a des effets négatifs non seulement sur les investisseurs mais aussi sur notre planète, car il revient à priver de capital les entreprises désireuses de s’améliorer mais qui ont besoin de financement pour y parvenir. Cela conduit également à une concentration des investissements sur des petites entreprises spécialisées au détriment des grands leaders anciens, qui doivent certes passer par une transition lourde et coûteuse mais qui restent incontournables. Utiliser des seuils quantitatifs stricts pour des réalités aussi diverses peut s’apparenter à la quête illusoire des sœurs de Cendrillon tentant de faire entrer à tout prix leur pied dans une minuscule pantoufle de verre.

Regarder vers l’avant plutôt que dans le rétroviseur

L’un des problèmes principaux de ces règles quantitatives, c’est qu’elles ne s’intéressent qu’aux données publiées et donc au passé. Or, une société qui tire 10% de ses revenus du charbon à un instant T peut tout à fait s’être engagée avec force pour en sortir totalement dès l’année suivante. Il n’y a pas de place dans ces directives pour l’appréciation des efforts réalisés, du parcours effectué ou des objectifs fixés. En un mot, pour l’analyse fine de chaque cas particulier. Pourtant, c’est cela qui importe après tout, car, comme tout investisseur averti le sait, les résultats passés ne sont pas une garantie des performances futures !

La Suisse montre la bonne direction

Une fois n’est pas coutume, notre pays n’a pour l’instant pas cédé aux sirènes du « Swiss Finish » en ajoutant une couche de réglementation superflue à un corpus législatif déjà complexe. En l’occurrence, la Suisse a choisi la solution de l’auto-régulation. Certes, une transparence totale est exigée des acteurs -et c’est tant mieux pour les investisseurs – mais les gérants d’actifs ne se voient pas imposer des seuils stricts ou des critères de sélection trop techniciens. Chacun doit dire ce qu’il fait et faire de qu’il dit, ce qui nous semble la meilleure manière de procéder pour aller effectivement de l’avant.

On sait bien que les régulations au joug trop pesant conduisent tôt ou tard à des réactions d’agacement, voire à des rebellions qui incitent certains à se précipiter dans la direction opposée par simple esprit de contradiction, comme on peut le craindre pour les quatre prochaines années aux Etats-Unis. De la mesure et du bon sens, cela reste la recette du succès.