RFFA: une réforme nécessaire pour la place financière

QUAERO Capital - Word from the CEO
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Il y a dix ans, alors que le secret bancaire suisse était en train de mourir et que les pressions internationales devenaient très fortes sur notre pays, beaucoup doutaient de la capacité de la place financière suisse à se réinventer. La majorité des observateurs prédisaient les plus grandes difficultés pour nos banques, ainsi que la disparition de centaines de places de travail. Du fait de l’importance évidente de la place financière dans notre économie locale, cette tempête devait toucher Genève plus que d’autres régions helvétiques. Aujourd’hui, force est de constater – et c’est une excellente nouvelle – que les prévisions pessimistes de l’époque ne se sont pas matérialisées, bien au contraire. Certes, certains acteurs trop petits ont dû fusionner pour atteindre la taille critique et des emplois ont effectivement – et très malheureusement — été supprimés. Cependant, la disparition annoncée de notre secteur financier ne s’est pas produite et nous pouvons nous réjouir que la place financière suisse ait été capable de se réinventer.

La gestion d’actifs, un axe majeur de la rénovation

L’un des axes les plus importants pour la place financière suisse a été le développement d’une activité de gestion institutionnelle comme l’un des piliers de la transformation. L’Association Suisse des Banquiers l’a bien compris en lançant dès 2012 l’initiative Asset Management Suisse, renforcée en 2016 sous le nom d’« Asset Management Platform », et beaucoup d’acteurs du secteur financier se sont lancés avec force dans ce secteur de la gestion. Certes, certains noms étaient déjà très connus : Pictet, Mirabaud, Unigestion. Mais d’autres ont également émergés de manière spontanée et nous pouvons être fiers du terreau entrepreneurial développé ces dernières années. Malgré les doutes initiaux, un véritable savoir-faire s’est développé en Suisse, et tout particulièrement à Genève, et nous sommes maintenant bien lancés dans la transformation nécessaire de notre place financière.

Malgré ces efforts remarquables, il faut cependant noter que cette nouvelle industrie se développe dans un environnement concurrentiel compliqué. En premier lieu, elle doit surmonter la dominance des très grands acteurs anglo-saxons, qui ont l’avantage de pouvoir faire appel à des marchés domestiques considérablement plus grands que le nôtre. Cet avantage de taille leur donne plusieurs longueurs d’avance par rapport à des pays dont le marché domestique est moins important. D’autre part, il faut bien constater que la Suisse n’est pas seule à vouloir développer ce secteur : d’autres pays se profilent pour augmenter leurs compétences dans la gestion d’actifs et nos voisins directs – toujours avantagés par un marché interne plus grand – comptent également attirer cette industrie sur leur territoire.

La fiscalité, un facteur de compétitivité

A cet égard, la fiscalité représente un outil important pour la compétitivité d’une place financière et il serait parfaitement naïf de penser que nos concurrents ne l’utilisent pas de manière agressive (ce qui illustre par ailleurs leur mauvaise fois lorsqu’ils pointent la Suisse du doigt pour la suppression des régimes spéciaux…). A titre d’exemple, la France et l’Italie ont ainsi récemment créé des statuts spéciaux pour les financiers qui se relocaliseraient depuis le Royaume-Uni à la suite du Brexit. Ces avantages sont importants et continuent d’augmenter dans la guerre incessante pour la promotion des places financières lancées dans une concurrence acharnée.

Dès lors – et alors que la Suisse n’est pas un pays à fiscalité faible – la réforme de l’imposition des entreprises (RFFA) constitue un ballon d’air frais bienvenu pour un secteur financier en pleine mutation. Car si la baisse prévue de l’impôt sur les entreprises bénéficiera à tous les secteurs, elle profitera surtout aux secteurs les moins solidement établis et les plus fragiles. Alors que les acteurs de l’Asset Management ont investi et continuent d’investir des sommes considérables pour la transformation du modèle d’affaires de la place, il paraît incongru de parler de cadeau fiscal ou de traitement de faveur pour les actionnaires. Au contraire, il apparaît bien plus important d’encourager le maintien et le développement d’une activité concurrentielle, garante du maintien de places de travail et des recettes fiscales futures. La modification de la taxation des entreprises proposée est l’un des moyens d’y parvenir et d’épauler un secteur qui se développe de manière remarquable face à la très grande concurrence qui règne parmi tous nos pays voisins. Cet apport d’oxygène permettra aux acteurs de la place de continuer à investir dans le développement de cette activité encore nouvelle pour Genève et pour la Suisse et devrait largement compenser les pertes immédiates que la baisse du taux nominal amènera à très court terme.

La réforme de l’AVS est utile à l’asset management

Finalement, le compromis fait sur l’AVS dans le cadre du projet RFFA – loin d’être imparfait comme le prétendent certains – fait revivre la tradition d’un certain pragmatisme helvétique, souvent oubliée actuellement mais qui est bienvenue dans le contexte politique actuel.

En renforçant notre système de prévoyance, le volet de la réforme dédié au financement de l’AVS concerne également le secteur de l’Asset Management, qui est l’outil que la Suisse peut exploiter pour la gestion des avoirs de retraite. En effet, un système de retraite équilibré et solide forme la base indispensable à l’émergence et à la croissance d’une activité d’Asset Management concurrentielle et stable pour notre pays. Toute remise en question, qui viendrait inexorablement à la suite d’un déséquilibre structurel de notre AVS, serait un obstacle inutile à une industrie encore en plein essor.

La transformation de la place financière genevoise nécessite des investissements très conséquents. A terme, ils devraient permettre aux acteurs du secteur de faire face à la concurrence sans merci que se livrent tous les pays pour consolider leur position dans le domaine de la gestion institutionnelle. Ils devraient également garantir le maintien et la croissance des places de travail dans les services financiers qui sont une composante importante de notre économie locale. Ne compromettons pas ces efforts par des positions idéologiques tranchées et célébrons au contraire le compromis intelligent trouvé tant au niveau fédéral que cantonal avec une réforme nécessaire et équilibrée.