Transition énergétique : La Suisse prend du retard

Alors que l’urgence climatique se fait chaque jour plus pressante, notre pays poursuit à vitesse lente sa politique habituelle de (très) petits pas. Et bien que l’énergie solaire soit désormais la moins chère des sources d’électricité, nous continuons à dépendre massivement des carburants fossiles.

 

La guerre en Ukraine a eu l’effet d’un accélérateur sur les problématiques de transition énergétique et notre flux d’actualité quotidien est désormais inondé de nouvelles sur la crise énergétique et les risques de pénurie à brève échéance. Alors que les Européens ont dû totalement modifier leurs sources d’approvisionnement en gaz (qui représente près d’un quart du mix énergétique européen) et autres hydrocarbures, la logique d’une transformation de nos économies vers un modèle plus durable s’est imposée comme une évidence, même pour les esprits les plus réfractaires.

La compétition fait rage

De fait, la validité de l’investissement dans les énergies renouvelables, ainsi que dans des modèles d’affaires visant à réduire l’empreinte carbone de l’activité humaine, n’est aujourd’hui plus remise en cause. Des projets d’investissements colossaux ont vu le jour en Europe, en Asie et finalement aux Etats-Unis, et la compétition pour le développement du savoir-faire nécessaire à la transition fait rage entre les différents blocs commerciaux. Cet engouement est naturellement bienvenu, alors que les statistiques météorologiques ne cessent de confirmer les hypothèses les plus pessimistes des chercheurs et que nous avons vécu les années les plus chaudes depuis le début des mesures de température.

Les énergies renouvelables sont compétitives

En revanche, ce qui attire moins d’attention, ce sont les progrès considérables réalisés dans le domaine des énergies renouvelables et la transformation profonde du modèle de production d’électricité. A l’heure actuelle, ces dernières constituent déjà 35% du mix énergétique de l’Union européenne et la somme des investissements attendus dans le développement des énergies propres rend enfin possible l’atteinte des objectifs de décarbonisation promis par les Etats membres. Alors que les volumes produits augmentent, un cercle vertueux se met en place et accélère encore la transition, avec pour conséquence un effet déflationniste sur l’économie, bienvenu en cette période de retour des craintes de hausse des prix. A titre d’exemple, le prix des panneaux photovoltaïques par watt généré a diminué de plus de 99% depuis 1976, ce qui non seulement rend désormais l’énergie solaire compétitive sans aucun subside de l’Etat, mais en fait surtout l’une des sources d’électricité les moins chères dans le mix du réseau. On constate le même phénomène avec l’énergie éolienne, avec pour résultat qu’en 2021, plus de 90% des nouvelles capacités de production électriques étaient renouvelables ! Cette tendance est d’autant plus réjouissante que l’énergie renouvelable constitue une ressource infinie et que les effets d’économie d’échelle et de développements technologiques vont précipiter la compétitivité de ces modes de production.

Une évolution similaire est à prévoir dans les capacités de stockage, qui voient déjà leur coût par kWh fortement baisser, ce qui devrait largement soulager les problématiques d’intermittence posées par la croissance des capacités d’électricité renouvelable. Les conséquences sont évidentes : la rentabilité à long terme des projets d’installations renouvelables devient largement supérieure à celle d’anciens modes de production et la transition va continuer à accélérer, pour le plus grand bien de tous.

La Suisse à la traîne

En Suisse, la situation évolue malheureusement beaucoup moins rapidement que dans les autres économies occidentales. Alors que les Etats-Unis et l’Europe ont consenti des plans ambitieux pour accélérer et soutenir la transition, rien de comparable n’est réellement prévu dans notre pays, qui souffre pourtant d’une très grande dépendance étrangère pour son approvisionnement énergétique. Que ce soit dans le domaine de l’isolation et du chauffage des bâtiments, des incitations à la pose de panneaux photovoltaïques ou encore du développement d’un réseau crédible de stations de recharge pour les voitures électriques, la Suisse a pris un retard important en comparaison internationale. La traditionnelle méfiance vis-à-vis de toute politique industrielle (réitérée cette année encore par notre ministre de l’économie aux Entretiens de Watteville), ainsi que de nombreuses limites institutionnelles (essentiellement une « recourite » aiguë de la part des riverains et des organisations environnementales) entravent gravement notre capacité à effectuer une transition rapide. Pourtant, nos autorités seraient bien avisées d’être un peu plus dirigistes. En effet, si nous voulons tenir nos objectifs climatiques et éviter que le réchauffement dépasse les limites de l’acceptable, nous n’avons plus le luxe d’attendre que les citoyens et l’économie s’adaptent naturellement, gentiment poussés en avant par de douces mesures incitatives.

Le secteur privé a un rôle à jouer

Et pour passer à la vitesse supérieure, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Pourtant, sur le mode de financement également, la Suisse est en retard et souffre d’un préjugé négatif à l’égard des partenariats public-privé. Ces mécanismes largement utilisés par nos voisins sont encore très mal connus dans notre pays et suscitent une certaine méfiance de la part du grand public. Pourtant la capacité de développer des infrastructures renouvelables en faisant levier sur le secteur privé offrirait le double avantage de décupler nos capacités de financement et d’offrir à nos actifs de retraite une rentabilité particulièrement stable sur le long terme. C’est d’autant plus pressant que la place financière suisse s’est considérablement développée dans l’investissement responsable et qu’elle a les moyens intellectuels et financiers pour soutenir notre transition. Une modification de nos mentalités ne peut que nous entraîner dans un cercle vertueux qui bénéficierait à toute la collectivité.