Une espérance de vie plus longue « Made in China »

Alors qu’aux Etats-Unis « être le premier sur le marché et présenter les meilleurs résultats cliniques » sont les conditions de succès dans le domaine de la pharma, en Chine, la recette du succès n’est pas aussi binaire.

Dans la grande course chinoise au PD-1, le leader du marché n’est ni le premier, ni le meilleur de sa catégorie. Le chinois Innovent était 2ème sur le marché et avait des résultats satisfaisants, il a gagné la course la plus importante en remportant l’approbation de l’assurance maladie nationale, qui l’a mis sur sa National Reimbursement Drug List, grâce à son choix de baisser le coût du traitement à USD 15’000. Ce qui, après de nouvelles réductions à USD 9’000, le rend inférieur de 95% à celui d’un traitement équivalent aux USA. Pourtant, en raison des volumes et de la suppression des intermédiaires, les marges brutes d’Innovent s’élèvent à 80% (en 2020, contre 71% pour Merck et 80% pour BMS).

A noter que, le 20 mai dernier, Innovent et son partenaire Eli Lilly ont annoncé que la FDA avait accepté leur demande d’homologation de Tyvyt en association avec Alimta de Lilly pour le traitement de l’adénocarcinome pulmonaire (le cancer du poumon le plus fréquent). Il s’agira du premier médicament PD-1 mis au point par une société chinoise à recevoir un feu vert de la part de la FDA. Eli Lilly a indiqué que le prix sera son principal argument de vente – et il devra l’être, car le marché américain est saturé d’acteurs bien établis qui ont beaucoup à perdre.

Beigene a lancé son PD-1 un an après le 1er entrant, Junshi, arrivant 6ème sur le marché. Il a opté pour une stratégie radicalement différente : ce qui lui manque en termes de volume est compensé par son orientation vers le marché américain, où il peut encore prétendre à une forte prime pour le R&D.

I-Mab, une autre pharma spécialisée en oncologie, a réussi à céder les droits de son principal candidat-médicament à AbbVie, qui sera responsable de la commercialisation mondiale. Il s’agit d’une étape véritablement importante pour la pharma chinoise, car la valeur totale de l’opération, qui s’élève à USD 1.94 milliard, est supérieure à celle de l’opération réalisée par Innovent pour Tyvyt.

Voici donc trois modèles de réussite pour les entreprises pharmaceutiques chinoises :

  1. Innovent se concentre sur la Chine (en tout cas dans un premier temps) ;
  2. Beigene se concentre sur les US ;
  3. I-MAB se propose de vendre ses médicaments sous licence.

Plusieurs raisons expliquent la croissance du domaine de la santé en Chine. Tout d’abord, le pays compte la plus grande population de chercheurs et scientifiques au monde, soit près de 10 fois le nombre de diplômés dans des matières équivalents aux US, qui ne sont payés qu’un cinquième du salaire des PhD américains. Cette situation s’apparente à l’avantage en termes de coût de la main-d’œuvre dont la Chine a bénéficié dans le secteur ouvrier au cours de la dernière décennie, et la Chine veut déplacer ses emplois vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée comme l’industrie pharmaceutique. De plus, le secteur pharmaceutique chinois est en train de combler un retard en matière de R&D grâce aux nombreux rapatriés qui rentrent au pays et qui ont acquis une expérience dans des entreprises pharmaceutiques occidentales de premier ordre.

Deuxièmement, il est beaucoup plus facile de recruter pour les essais cliniques en Chine en raison de la taille de la population. Selon Beigene, il est 3x plus rapide de recruter pour un essai chinois qu’aux US.

Troisièmement, la Chinese Food and Drug Administration a considérablement réduit ses délais d’examen, grâce à des recrutements et à l’amélioration de son fonctionnement. L’examen d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament est passé de plusieurs années à 2-7 mois, contre 4-10 mois aux USA. La procédure de lancement d’un essai clinique prend désormais 60 jours, contre plusieurs mois auparavant.

Si les années 2000 ont été la décennie de la finance et les années 2010 celle des technologies… nous pensons que les acteurs de la santé pourraient être les plus grands gagnants de cette décennie. Actuellement, la plus grande entreprise pharmaceutique chinoise, Hengrui, ne représente que USD 70 milliards de capitalisation boursière (à comparer aux USD 450 milliards de J&J) et la pondération de la santé ne représente que 7% du MSCI China, contre 13% du MSCI USA. Notre portefeuille chinois est presque quatre fois plus pondéré dans la santé que notre indice de référence, non seulement pour les médicaments, mais aussi pour les équipements médicaux, les sociétés de recherche sous contrat et la médecine esthétique.

Au cours de la dernière décennie, les exportations chinoises ont permis de mieux vivre en réduisant le coût des biens de consommation courante. Au cours de la prochaine décennie, les exportations chinoises permettront de vivre plus longtemps, en réduisant le coût des médicaments essentiels – du moins, si la réglementation occidentale ne s’y oppose pas.

(Disclaimer : nous sommes investis dans Innovent et I-Mab).