Avec le L-QIF, la Suisse ajoute une corde souple à son arc

Cet article est paru dans Le Temps du 22.04.2024.

Le 1er mars dernier, notre pays s’est doté d’un nouvel instrument de placement collectif particulièrement flexible, qui permet de lancer un fonds très rapidement et pratiquement sans restrictions d’investissement. Avec le L-QIF, notre place financière rattrape ainsi une partie de son retard avec le Luxembourg.

Directement inspiré du Fonds d’investissement alternatif réservé luxembourgeois (plus connu sous son acronyme anglais RAIF), qui compte déjà plus de 2’500 fonds sept ans après son apparition, le Limited Qualified Investor Fund (ou L-QIF) a de quoi réjouir les gérants d’actifs suisses et leurs clients qualifiés. En effet, le L-QIF n’exige plus d’autorisation préalable de la FINMA – seule une annonce est nécessaire – et n’est soumis à presqu’aucune contrainte d’investissement. Certes, il est réservé à des investisseurs qualifiés selon la définition du droit suisse, c’est-à-dire les investisseurs institutionnels, les privés fortunés et les clients des banques et gérants de fortune leur ayant confié un mandat de gestion ou de conseil. Mais cette limitation est un faible prix à payer pour ses nombreux avantages.

Tester rapidement des stratégies

Avec le L-QIF, les gérants d’actifs sont libérés de l’obligation de demander une autorisation à la FINMA avant de créer un fonds. Or, si cette démarche peut être relativement rapide pour un fonds « plain vanilla », dans le cas de stratégies plus complexes ou d’investissements dans des pays ou des instruments moins communs, cette approbation peut prendre jusqu’à une année, avec de nombreux allers-retours avec l’autorité de surveillance. Le nouveau véhicule leur permet ainsi de lancer leur fonds sans délai, par exemple pour profiter d’une opportunité de marché ou pour être les premiers à proposer une thématique spécifique, en bénéficiant ainsi de la prime au premier venu. Cela permet aussi de tester – dans la réalité et non pas sous forme de simulation – des idées ou des thèmes de placement, en trouvant un capital de départ auprès d’investisseurs qualifiés, pour établir un « track-record » convaincant et, en cas de succès, « anoblir » ensuite le fonds en le convertissant en produit grand public. En effet, comme pour le RAIF, la réglementation permet la transformation par la suite d’un L-QIF en produit réglementé.

Investir sans contrainte

Le second avantage de ce nouveau type de véhicule est qu’il n’est soumis à pratiquement aucune restriction d’investissement. Un L-QIF peut ainsi non seulement investir en actions et en obligations, mais aussi dans des parts de fonds de placement, des produits structurés, des sociétés non cotées, du private equity, de l’immobilier, des projets d’infrastructure, des œuvres d’art ou tout autre type d’investissements réels ou numériques. De plus, ces différents actifs peuvent être combinés sans restriction. Par ailleurs, la loi ne prévoit aucune obligation en matière de diversification et de répartition des risques. La liberté est donc totale.

Et le risque, alors ?

L’absence d’approbation par le régulateur et la grande liberté accordée dans les investissements pourraient laisser craindre que ce type de fonds constitue un risque pour les investisseurs. A cet égard, il convient de préciser que seuls les établissements assujettis à la surveillance de la FINMA sont susceptibles de lancer et de gérer un L-QIF. Le contrôle direct du fonds est ainsi remplacé par une supervision indirecte de son gérant, qui est responsable du respect des prescriptions légales. Par ailleurs, si une autorisation préalable n’est pas nécessaire et qu’un prospectus n’est pas exigé, la documentation du fonds doit toutefois stipuler son approche d’investissement et sa stratégie de gestion, que le gérant est tenu d’appliquer. La direction du fonds doit vérifier que tel est bien le cas et un audit est exigé. Autre précaution permettant d’éviter des malentendus : un L-QIF doit être clairement identifié comme tel sur la première page de tous les documents. De plus, les gérants doivent indiquer que le L-QIF est libéré de l’obligation d’obtenir une approbation et une autorisation et qu’il n’est pas assujetti à la surveillance de la FINMA. Un registre public auprès du Département fédéral des finances recense l’ensemble des L-QIF. Avec tous ces garde-fous, le risque qu’un petit épargnant mal informé investisse dans un produit non adapté à sa situation est donc limité.

Structure de détention familiale

Un dernier avantage, et non des moindres, est le fait que ce type de fonds n’est pas limité à des investisseurs indépendants entre eux, ce qui signifie qu’il peut être utilisé pour détenir des patrimoines familiaux. Un L-QIF peut ainsi être créé lors d’une succession afin de détenir des biens difficiles à diviser comme des immeubles ou des œuvres d’art. Les héritiers peuvent ensuite détenir leur part correspondante de cette structure de détention. Des family offices pourront également employer ce type de véhicule pour créer des stratégies de private equity personnalisées, gérées par des sociétés spécialisées agréées.

Ce nouvel instrument vient à point nommé pour dynamiser et moderniser notre place financière et notre industrie de la gestion de fonds de placement, même si les questions de l’accès au marché européen et de l’impôt anticipé restent jusqu’à présent sans réponse. Pour avoir trop tardé à mettre en place une législation moderne sur les fonds de placement, la Suisse a laissé le Luxembourg prendre une avance qui semble désormais impossible à rattraper. C’est d’autant plus le cas que nous restons encore une fois du côté des suiveurs, reprenant après coup les innovations développées d’abord par le Grand-Duché. Quand donc allons-nous faire œuvre de pionniers en inventant quelque chose que les autres pays vont nous envier ?