Faut-il choisir entre décroissance et croissance verte ?

Pour comprendre quelles sont les différentes voies de décarbonation qui s’offrent à nous, on peut se référer à l’équation de Kaya[1] utilisée par le GIEC pour établir ses scénarios d’émissions.

Emissions totale de CO2 = (Population) X (Revenu par personne) X (émissions de CO2 par USD de revenu)

L’équation de Kaya exprime mathématiquement le fait que nous disposons de trois leviers pour décarboner :

  1. Réduire la population
  2. Réduire le revenu par habitant (la décroissance)
  3. Réduire l’intensité énergétique[2] (la croissance verte)

Réduire la population : levier oublié

La variable « population » de l’équation n’apparait guère dans le débat public. Il y a deux explications de nature éthique à cela. La première c’est qu’évoquer la baisse de la population est souvent interprété comme une volonté de contrôler les naissances, contraire à la vision que nous avons de nos libertés fondamentales. La deuxième, c’est que quiconque s’aventure sur ce terrain prend le risque d’être vu comme « le riche qui veut que les pauvres aient moins d’enfants ».

Ces écueils empêchent de mener une réflexion constructive sur le sujet, et on ne peut que le regretter. En effet, la natalité est étroitement liée aux niveaux de vie et d’éducation des populations, ce qui revient à dire que des politiques ambitieuses de lutte contre la pauvreté ou éducatives (notamment en faveur des femmes) sont d’excellents moyens de réduire les émissions futures.

La décroissance : levier indispensable, courageux et sensible

Même si on peut en donner d’innombrables définitions, ce qui est communément appelé la décroissance correspond au deuxième levier de notre équation : réduire le revenu par habitant. Pour ce qui concerne les pays riches, cela revient à dire qu’il faudra aller vers une forme de sobriété. Nous disposons de suffisamment d’indicateurs[3] pour comprendre qu’actionner ce levier est indispensable.

Certaines actions qui relèvent de la sobriété sont assez consensuelles (peu de gens contesteront qu’ils puissent vivre une vie tout aussi épanouissante avec deux fois moins de tee-shirts dans leurs armoires). D’autres, en revanche, sont nettement plus problématiques car elles remettent en cause notre confort ou notre mode de vie (quel pourcentage de la population est aujourd’hui prêt à renoncer à sa voiture ou au transport aérien de loisir ?).

Parce qu’il est difficile de renoncer à une rente ou un acquis, il faut du courage pour aller vers la décroissance. Un débat concret sur la sobriété semble aujourd’hui peu probable, tant il se heurte à celui des inégalités. A l’aune du climat, le mode de vie des élites (fortement émettrices) devient encore plus difficilement acceptable pour les couches populaires. L’exemplarité des élites étant une condition sine qua non, il est difficile de bâtir un projet de société consensuel dans lequel chacun accepterait de faire sa part d’effort pour aller vers la sobriété. Au niveau des pays, les tensions apparues lors des COP entre « pays du Sud » et « pays du Nord » sur ce qu’est une transition énergétique juste, complexifient encore les choses.

C’est parce que nous ne sommes pas prêts collectivement à nous engager dans la voie de la décroissance, que les plus pessimistes jugent qu’elle sera davantage subie que choisie.

La croissance verte : levier principal

La croissance verte est aujourd’hui controversée. Pour certains, elle ne serait qu’une excuse pour repousser les efforts requis par la décroissance. Une sorte de greenwashing macroéconomique. Cette vision réductrice nous semble erronée.

En reprenant l’équation de Kaya, rappelons que le troisième levier consiste à réduire les émissions de CO2 par unité de PIB, c’est donc « faire autant avec moins », en d’autres mots : augmenter l’efficacité de chaque unité d’énergie déployée.

En 2021, l’AIE[4] a, pour la première fois consacré un rapport à l’efficacité énergétique (EE), estimant notamment que son amélioration était un passage obligé à la transition vers une économie net zéro. Le rapport soulignait en outre que 80% des gains obtenus via l’EE sur la prochaine décennie se traduiraient en baisse des prix pour les consommateurs. Autrement dit, les investissements dans l’efficacité énergétique permettent de redistribuer du pouvoir d’achat et doivent figurer en tête des mesures à prendre pour une transition juste.

La croissance verte, dès lors qu’elle est synonyme d’efficacité énergétique, est donc non seulement indispensable dans notre trajectoire net zéro, mais c’est aussi un moyen de lutte efficace contre les émissions et qui impacte à court terme le porte-monnaie des consommateurs. Sa pertinence dans la lutte contre le réchauffement et contre les inégalités ferait d’une croissance verte axée sur l’efficacité énergétique un projet fédérateur pour les populations avec de bonnes chances de succès.

Pour les investisseurs, il est donc doublement pertinent d’identifier les entreprises qui proposent les produits ou les technologies qui contribuent à la croissance verte. D’une part, ces sociétés font partie de la solution pour une transition énergétique juste socialement et efficace, ce qui en fait d’excellents investissements « éthiques ». D’autre part, les perspectives de ces entreprises sont excellentes du fait de l’urgence climatique.

Nos stratégies thématiques sur les énergies renouvelables et la transition énergétique sont fortement exposées aux entreprises du domaine de l’efficacité énergétique dans des secteurs très variés allant de la construction (isolation thermique, pompes à chaleur…) à l’électronique (puces de nouvelle génération permettant de réduire la consommation).

 

[1] Du nom de l’économiste japonais Yoichi Kaya.

[2] La consommation d’énergie rapportée au PIB est communément appelée l’intensité énergétique.

[3] Par exemple le Jour du dépassement de la Terre qui était le 28 juillet l’an passé.

[4] AIE – Agence Internationale de l’énergie