Comment le marché japonais est-il redevenu attractif ?

Le marché japonais surperforme le marché mondial en monnaie locale depuis 2 ans (cf. graphique ci-dessous).

Pour mémoire, ce n’est que très récemment que le Nikkei 225, hors dividendes, a retrouvé son plus haut historique de décembre 1989. Il faut également rappeler que les épisodes de surperformance du marché japonais au cours des 35 dernières années peuvent être assez longs, et que la surperformance peut être substantielle (cf. graphique ci-dessous).

En devise commune (voir le 1er graphique), le Topix ne surperforme que légèrement le Stoxx600 et est en ligne avec le S&P500 et le MSCI World. Contrairement à 2006 ou à 2012-2026, le Topix ne surperforme donc pas clairement en devise commune.

Car l’essentiel de la performance du Topix a été lié au recul du yen qui a constitué un moteur haussier pour les BPA en absolu et en relatif. De fait, la performance du marché actions japonais (en monnaie locale) est historiquement liée au yen faible (cf. graphiques ci-dessous).

Le yen est aujourd’hui proche des plus bas contre le dollar depuis la fin des années 1990. La baisse du yen a été amplifiée par la détérioration de l’excédent courant japonais (renchérissement du coût des importations en raison de la hausse des prix de l’énergie) et la dégradation de la situation budgétaire de l’Etat. Mais depuis le début de 2022, la baisse du yen a surtout reflété la divergence de politique monétaire entre la BoJ et la Fed : la BoJ poursuit en effet une politique monétaire nettement plus accommodante que celle des autres pays du monde développé. Le Japon est ainsi le seul grand pays développé à avoir conservé des taux longs réels négatifs. Or, la parité dollar/yen est très sensible à l’écart de taux longs réels entre les USA et le Japon (cf. graphique ci-dessous).

La politique monétaire japonaise a jusqu’ici été finalement assez complaisante à l’égard de la renaissance de tensions inflationnistes. Cela s’explique par le fait que la banque centrale japonaise est encore plus contrainte qu’aux Etats-Unis ou en Europe. Les niveaux d’endettement (publique et privé hors institutions financières) sont en effet très largement au-dessus (406% à la mi-2023) des normes américaines et européennes (266% aux USA et 255% en France). Et nous savons que les compagnies d’assurance et les banques japonaises détiennent beaucoup d’obligations (de 10 à 15%).

La BoJ vient d’afficher (le 19 mars) un changement de politique monétaire. Elle a stoppé sa politique de Yield Curve Control (pilotage des taux 10 ans à 0%) et est revenue sur un pilotage des taux courts (Unsecured Overnight Call Rate) dans une fourchette de 0 à 0,1% (vs -0,1% précédemment). C’est la 1ère hausse de taux depuis 2007. Elle a cessé les achats d’ETF et de JREIT. Elle va aussi réduire progressivement les achats de Commercial Paper et d’obligations d’entreprises.

Cependant, la BoJ va poursuivre les achats de JGB sur des montants similaires / légèrement inférieurs aux montants actuels.

Et elle ne se donne aucun objectif précis sur la réduction de son bilan. Elle se laisse la possibilité de contrer toute hausse intempestive des taux longs en reprenant les achats de JGB si elle l’estime nécessaire.

Surtout, le gouverneur Ueda a tenu une conférence de presse très conciliante dans laquelle il a rappelé son attachement au gradualisme et indiqué ne pas croire à une hausse rapide des taux à l’heure actuelle.

Il a aussi souligné qu’il était important que la politique monétaire reste souple. Notons d’ailleurs que la décision de monter les taux n’a pas été unanime, avec 2 dissensions sur 9 votes.

Notre sentiment est que Ueda a été trop prudent depuis sa nomination au printemps dernier et qu’il a probablement manqué la fenêtre d’opportunité qui s’offrait à lui l’an passé. L’activité a depuis nettement ralenti (notamment dans l’industrie) et les pressions inflationnistes s’apaisent (prix à la consommation, salaires, anticipations). La remontée des taux de la BoJ à contretemps du reste du monde ne devrait donc être que modeste et n’est pas de nature à déstabiliser les marchés (FX, obligataire, actions).

Quid par ailleurs de la valorisation du marché actions ?

En dépit du rerating récent (hausse du PE 12m fwd de 12x début 2022 à 14,4x actuellement), les valorisations restent raisonnables en première approche. La décote vs le MSCI ACWI se situe autour de 15%. En revanche, comme le montre le graphique ci-dessous, le Topix est désormais cher par rapport au Stoxx600 (prime de 15% alors que la valorisation est équivalente en tendance longue).

La dynamique de BPA est quant à elle très correcte (croissance honorable des chiffres d’affaires, hausse des marges). Elle surperforme celle de la plupart des marchés développés. Qui plus est, les attentes de BPA ne paraissent pas excessives : +14% pour l’année fiscale 2024 et +8% pour 2025 (cf. graphique ci-dessous).

Mais au-delà des facteurs macro-économiques et macro-financiers, il y a des vecteurs structurels de renforcement de l’attractivité du marché japonais. Tout d’abord l’amélioration de la corporate governance.  Il y a eu en 2023 une nouvelle pression dans le cadre du TSE (Tokyo Stock Exchange) pour accroître la création de valeur pour les actionnaires (évaluation du coût du capital et de l’efficacité du capital de l’entreprise, en particulier pour les entreprises qui ont toujours été cotées en dessous de leur valeur comptable). D’une manière générale, toutes les réformes contemporaines visant à améliorer la création de valeur n’ont pas été vaines. Il y a même un recul du « crony capitalism » qui a pendant longtemps caractérisé le système japonais : baisse des participations croisées, hausse du nombre d’administrateurs indépendants, plus forte transparence des comptes…

En témoigne le rattrapage des marges d’Ebitda des firmes japonaises par rapport à leurs homologues américaines et européennes depuis une dizaine d’années ou encore la hausse tendancielle des rachats d’actions et du rendement du dividende (cf. graphiques ci-dessous).

Il y a aussi une thématique qui a favorisé un rerating du marché japonais ces dernières années : la sortie du cycle déflationniste dans lequel ce pays a été englué depuis le milieu des années 90. Contrairement aux autres pays, l’inflation est bienvenue au Japon. Aujourd’hui, l’inflation effective et les anticipations d’inflation (en particulier des entreprises) sont reparties à la hausse tout en restant raisonnables (cf. graphiques ci-dessous).

Le tout en préservant les marges, via un ajustement légèrement baissier sur les salaires réels malgré une hausse des salaires nominaux. Tout cela explique la hausse de l’intérêt des investisseurs étrangers pour le marché actions japonais, dont témoigne l’amélioration de la dynamique de flux. Il y a ainsi eu 5 trillions de yens entrants l’an dernier.

Mais il reste un gros potentiel eu égard à ce qui s’est produit lors des longs rallys évoqués supra (15 trillions en 2003-06 sous Koizumi et 25 trillions sous Abe en 2012-16).

Il faut dire que la faiblesse des taux japonais favorise les stratégies d’investissement des investisseurs étrangers (américains en particulier) couvertes en change. Le différentiel de taux court actuel garantit un rendement de plus de 5% en rythme annualisé pour l’investisseur américain. Dans une approche sur les marchés actions de type value (telle que préconisée par exemple par Warren Buffett), il convient de tenir compte à la fois des dividendes et des rachats d’actions. Le niveau de dividend yield est bien supérieur au Japon (vs les Etats-Unis comme on a vu plus haut) mais le « buyback yield » est plus notable aux Etats-Unis (3% en moyenne sur 15 ans vs 1% au Japon). Tout pris en compte, l’écart de rendement total (dividende + rachats) s’est tout de même réduit au profit du Japon depuis 15 ans. Avec la couverture de change, ce différentiel est, in fine, plus favorable au marché actions japonais qu’au marché américain.

Par ailleurs, rappelons que le potentiel d’investissement en actions de la part des ménages japonais est considérable : plus de la moitié du stock d’épargne des ménages japonais est investi en cash. Cela pouvait se concevoir dans un monde sans inflation ; cela devient nettement moins pertinent aujourd’hui.

En résumé, le marché japonais conserve son attractivité, avec une mention spéciale pour les valeurs bancaires avec un probable scénario de taux nominaux japonais légèrement haussiers et de pentification de la courbe des taux favorable à la marge nette d’intérêt des banques (cf. graphiques ci-dessous).