Inde et Chine – Quelles perspectives ?

Nous approchons de la fin de l’année 2022 et la Chine et l’Inde se traitent à des niveaux de valorisation totalement opposés : la Chine se traite à son plus bas niveau depuis 5 ans, tandis que l’Inde a connu une reprise spectaculaire depuis juin et fait partie des marchés les plus performants depuis le début de l’année.

On dit souvent de l’Inde que les optimistes et les pessimistes y sont toujours déçus. Sur la base des 30 réunions que nous avons faites depuis le début du mois [Note de la rédaction : Alice Wang est actuellement en Inde], notre impression est que l’économie domestique indienne est en surchauffe et que, même si les prévisions de compression des marges ont été prises en compte, les prévisions sur les volumes doivent encore être revues à la baisse. Les ventes des services informatiques, qui constituent la part la plus importante des exportations du pays et représentent 16% de l’indice NIFTY, commencent à fléchir car elles sont fortement corrélées à la croissance du PIB mondial. Toutefois, dans l’ensemble, l’économie nationale est relativement préservée du ralentissement mondial (en particulier par rapport à Taïwan, à la Corée et au Vietnam) car son ratio exportations/PIB n’est que de 20%. Par ailleurs, une baisse des prix du pétrole, due à l’anémie de l’économie mondiale, serait un atout pour la consommation intérieure.

Les problèmes de la Chine proviennent de son régime. Alors que de nombreuses entreprises parviennent à croître malgré des conditions extraordinairement difficiles, les valorisations sont fortement déprimées en raison de l’acharnement de la politique du zéro COVID, de l’environnement réglementaire, mais aussi à cause du risque politique du premier voyage de Xi Jinping post COVID et de sa rencontre avec Poutine. Le secteur des exportations, qui a soutenu l’économie pendant la crise du COVID, montre désormais des signes de détérioration. La consommation domestique est très faible mais, si les politiques sanitaires peuvent être assouplies, l’économie intérieure pourrait facilement compenser le ralentissement des exportations. Nous voyons dans les premiers voyages post pandémie de Xi et Li Zhanshu des signaux positifs quant à un assouplissement potentiel après le Congrès du Parti prévu le 16 octobre prochain.

Comment investir dans ces deux économies à ce stade ?

Inde : privilégier les valeurs industrielles et les plateformes de consommation

Pour l’Inde, nous privilégierons les valeurs industrielles, dont les valorisations sont très raisonnables. Nous pensons aussi que ce secteur est sous-pondéré car la plupart des gérants de fonds mondiaux surpondèrent les valeurs de consommation.

Notre voyage en Inde nous a permis de réviser nos impressions sur le développement des investissements et des infrastructures du pays (le problème de longue date du développement de l’Inde).

Notons tout d’abord l’attitude volontariste des responsables gouvernementaux que nous avons rencontrés. Cette ambition se concrétise, par exemple, par le lancement de grands projets de construction routiers dans tout le pays. A Mumbai, la nouvelle autoroute surélevée le long de la côte apportera des avantages importants en termes d’efficacité à cette ville très congestionnée.

Par ailleurs, la puissance économique des grandes familles dynastiques d’entrepreneurs permet au capital privé de remplir le rôle joué par les gouvernements centralisés comme ceux de la Chine ou de Singapour. Le groupe Reliance Jio, fondé par Mukesh Ambani, illustre le phénomène. Depuis son entrée sur le marché des télécoms en 2016, Reliance Jio a investi plus de USD 25 milliards dans la téléphonie et USD 1.9 milliard dans les technologies numériques, proposant certains des produits les plus avantageux du secteur. Leurs soumissions représentent déjà 56% de l’ensemble des enchères pour les concessions 5G. Cela nous rappelle la façon dont certaines grandes familles américaines ont participé à la révolution industrielle du XIXème siècle, à l’image des Carnegie, Rockfeller ou Vanderbilt.

Au vu de ces tendances, nous donnerons la priorité aux sociétés industrielles bénéficiant de barrières à l’entrée élevées, notamment les entreprises de machines de construction comme ACE, un fabricant de grues de premier plan en Inde, et KEI Industries, une compagnie de câblage. Ce type de sociétés industrielles, leaders de leur secteur, bénéficient également de la consolidation en cours sur des marchés fragmentés.

Deuxièmement, nous nous concentrerons sur les plateformes de consommation (précisons que nous avons pu suivre le développement de telles plateformes en Chine sur les 10 à 15 dernières années – expérience qui nous a permis de comprendre l’inconstance du client émergent et numérisé). Contrairement au développement observé en Chine et en Occident, même l’Inde rurale est désormais fortement numérisée (en partie grâce à des entreprises comme Jio et Airtel), ce qui signifie que les préférences des consommateurs peuvent changer plus rapidement et évoluer plus vite que les marques, en particulier les grandes marques, ne peuvent le faire. Nous allons privilégier les plateformes de consommateurs, qu’il s’agisse de plateformes de financement d’électroménager comme Bajaj Finance, d’opérateurs de centres commerciaux comme Phoenix Mills ou encore de plateformes en ligne comme Nykaa. Enfin, nous suivrons la mise en forme d’une économie profondément fragmentée – car si, dans les pays développés, la technologie permet une croissance disruptive qui s’empare du marché, en Inde, les principaux acteurs qui prennent des parts de marché passeront de 10 % du marché à 30 % du marché dans les 5 à 10 prochaines années.

Chine : un leader mondial qui devrait se réveiller après le Congrès du Parti communiste

En Chine, malgré une situation macroéconomique difficile, nous pensons que des secteurs dans leur ensemble et entreprises en particulier deviendront des leaders mondiaux (s’ils ne le sont pas encore).

Prenons le domaine de l’énergie renouvelable. Pour ce qui est du solaire, avec son polysilicium, ses plaquettes, ses cellules et ses modules, la production chinoise représente entre 76 % et 96 % de la production mondiale. La capacité photovoltaïque de la Chine a augmenté de +137.4% en glissement annuel au premier semestre 2022 et les exportations ont augmenté de +74.3%. Ces tendances devraient durer car nous sommes convaincus que la demande solaire mondiale va continuer d’augmenter.

La Chine se concentre aussi sur les technologies de base. En particulier, son industrie des puces devrait remplacer les puces importées (qui représentent environ USD 430 milliards – sa principale source d’importations étrangères à l’heure actuelle). Nos principaux secteurs d’investissement sont ceux des technologies de base, des soins de santé et de la réouverture.

Les échanges et partenariats entre Inde et Chine ne sont pas près de se tarir

La plupart des entreprises indiennes que nous avons rencontrées lors de notre voyage travaillent avec des fournisseurs chinois et parlent de leurs collaborations de manière très positive.

Petite parenthèse : les Indiens ne peuvent pas encore obtenir de visas pour se rendre en Chine et la Thaïlande a des règles de quarantaine parmi les plus accommodantes pour les Chinois qui voyagent à l’étranger, ce qui fait de ce pays un lieu idéal pour les réunions d’affaires. Pour tirer parti de cette situation, nous détenons Airports of Thailand.

Les entrepreneurs indiens nous ont également rapporté, lors de nos discussions, que le prix du fret a baissé, que les chaînes d’approvisionnement ne sont pas perturbées et qu’ils ne pensent pas qu’une production locale (en Inde) puisse remplacer les technologies chinoises dans les deux prochaines années. Dans l’intervalle, la demande indienne de produits électroménagers et d’autres biens de consommation augmente rapidement et nécessite de poursuivre des partenariats chinois. Même la volonté de produire localement (en Inde) nécessite de travailler étroitement avec des entreprises chinoises dans le cadre de partenariats. Les entrepreneurs indiens que nous avons vus soulignent d’ailleurs l’efficacité et le professionnalisme de leurs partenaires chinois. Il nous semble que ces fournisseurs chinois sont actuellement sous-évalués, d’autant que les économies d’échelle et les barrières technologiques possibles en Chine sont difficiles à remplacer.

Perspectives

Nous revoyons à la hausse les perspectives à long terme de l’Inde et pensons que l’expérience que nous avons acquise dans le cycle de vie du développement des entreprises chinoises au cours des 10 à 15 dernières années nous donnera un regard unique sur l’avenir de ce pays.

Ceci étant dit, le potentiel à long terme pourrait être tempéré par des risques à court terme, car l’Inde est actuellement au pic de sa réouverture et les estimations doivent encore baisser (l’économie ne peut pas continuer à croître à 13%).

La Chine, quant à elle, se trouve à l’extrémité opposée du cycle économique par rapport à tous les autres pays. Les valorisations chinoises sont fortement décotées. La qualité et l’avantage technologique des entreprises sont encore bien supérieurs à ceux des entreprises indiennes, d’autant que la taille du marché et le PIB par habitant sont encore bien plus élevés. Nous devons toutefois attendre la fin du Congrès du Parti pour avoir une meilleure visibilité sur la reprise de l’économie chinoise, mais du point de vue de l’investissement, du cycle économique et de la valorisation, les entreprises chinoises constituent pour le moment toujours la meilleure opportunité à long terme.