L’inefficience a du bon

Cet article est paru dans Le Temps du 11 décembre 2023.

Peu suivies par les analystes et méconnues des investisseurs, les petites capitalisations européennes sont sous-évaluées, malgré des perspectives de croissance supérieures. Et si les deux dernières années ne leur ont guère été favorables, le moment semble aujourd’hui particulièrement propice pour entrer sur ce marché.

La croissance plus forte se traduit par une surperformance

Plus petites et dynamiques, les valeurs secondaires peuvent ainsi afficher des taux de croissance bien plus élevés que les entreprises matures. C’est mathématiquement très simple : pour une petite entreprise réalisant un chiffre d’affaires de 600 millions de francs, un nouveau contrat de 100 millions se traduira par une progression de 15% des revenus. A l’inverse, cela sera presqu’imperceptible pour un poids lourd de la cote. A long terme, les petites capitalisations ont donc tendance à surperformer les grands titres. Ainsi, sur 20 ans, l’indice MSCI Europe Small Cap Net Return a dégagé une performance de +427%, soit près de 2 fois plus que le MSCI Europe Large Cap Net Return (+232%)[1].

L’inefficience offre des opportunités

Mais investir dans les petites capitalisations européennes, cela revient en pratique à s’attaquer au segment le moins efficient du marché, car moins suivi, moins liquide et souffrant d’un accès à l’information plus difficile. Malgré ces inconvénients, cette inefficience est un atout pour l’investisseur expérimenté et patient, car cela permet à celui qui sait les trouver de dénicher des perles à des prix sacrifiés et ainsi d’obtenir sur le long terme par une performance supérieure. La situation est radicalement différente pour les sociétés plus importantes, largement suivies par des cohortes d’analystes qui traquent leurs moindres annonces et lancements de produits. Dès lors, leurs cours de bourse prennent immédiatement en compte tout nouvelle. Avec ces grands titres, il est donc bien plus rare de tomber sur de fortes aberrations de prix.

Faire un pas de plus que les autres

Dénicher ces pépites oubliées n’est toutefois pas si simple et l’investisseur en petites capitalisations doit être prêt à se donner un peu plus de mal que celui qui se cantonne aux blue chips. En effet, comme ces sociétés sont peu ou pas couvertes par les analystes, il doit se livrer lui-même à une recherche primaire approfondie, en allant rechercher les informations à la source et en rencontrant le management. Il lui faut d’ailleurs souvent jouer un rôle actif, par exemple en leur fournissant des conseils stratégiques ou en les aidant à améliorer leur communication.

Une classe d’actifs délaissée depuis deux ans

Si les valeurs secondaires surperforment à long terme, ce n’est toutefois pas toujours le cas à plus brève échéance. De fait, les petites capitalisations européennes sont en retard depuis deux ans, ce qui s’explique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la perception est que ces sociétés ont souvent un fort biais domestique et ont donc souffert de la relative faiblesse économique de la zone euro. La réalité est plus nuancée et les petites valeurs européennes incluent des firmes actives globalement. Par ailleurs, il existe un sentiment que le durcissement des conditions de financement, notamment en ce qui concerne les crédits bancaires, les a impacté plus fortement, car les banques sont leur principale source financement. De nouveau, il faut tempérer cette impression par le constat que beaucoup de petites valeurs européennes ont des bilans très solides et peu de dette. Enfin, l’expansion de la gestion passive a entraîné une concentration des investissements sur les plus grosses capitalisations, au détriment des valeurs plus petites.

Des valorisations très attrayantes

Ce désintérêt actuel du marché a un avantage non négligeable : alors que les petites capitalisations se traitent habituellement avec une prime de l’ordre de 20% par rapport aux grands titres, en raison de leurs perspectives de croissance supérieures, elles se négocient actuellement avec une décote importante, ce qui ne s’est pas vu depuis 2008. Le P/E prospectif à 1 an pour l’indice MSCI Europe Small Cap est ainsi de 10x, contre 13x pour le MSCI Europe Large Cap, soit des niveaux d’évaluation proches des plus bas depuis 20 ans. Les valorisations sont si basses que de nombreux actionnaires familiaux, qui sont particulièrement bien placés pour connaître la véritable valeur de leur entreprise, choisissent de racheter les actions en circulation pour se retirer de la cote avec une prime substantielle par rapport au prix du marché, comme cela a été le cas de Bobst à fin 2022 ou d’autres titres retournés en mains privées.

Un point d’entrée intéressant

A ce niveau, les petites capitalisations européennes apparaissent donc grossièrement sous-évaluées. Or, les prévisions macroéconomiques indiquent une croissance de 0.5% en 2024 pour la zone euro et les taux d’intérêt devraient se stabiliser, voire baisser. Les mauvaises nouvelles potentielles semblent donc être déjà intégrées dans les cours et les niveaux actuels apparaissent comme une opportunité unique de prendre position sur cette classe d’actifs.

 

Lire l’article en PDF

[1] Résultats du 05.12.2003 au 05.12.2023