Eau : chronique d’une crise annoncée

Alors que l’eau semblait presque inépuisable quasiment partout en Europe, le dérèglement climatique et l’augmentation des périodes de sécheresse en ont fait un bien rare et une ressource critique. Pour faire face à la crise, d’importants investissements sont nécessaires, de même qu’une profonde modification de nos habitudes de consommation.

Une ressource indispensable mais sous pression

En Europe, chaque personne consomme environ 128 litres d’eau par jour[1] et ce sont ainsi 44.7 milliards de m3 d’eau[2] qui sont consommées en moyenne chaque année par les ménages européens. Et ceux-ci ne représentent que moins d’un cinquième de la consommation, car les plus gros consommateurs sont les producteurs d’électricité (33%), qui utilisent l’eau comme moyen de refroidissement, l’agriculture (28%) et l’industrie (18%)[3].

Si la consommation d’eau a légèrement diminué depuis dix ans, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une ressource de plus en plus rare. En effet, alors que 88% de l’eau douce en Europe proviennent des cours d’eau ou des nappes phréatiques, ces sources d’approvisionnement sont extrêmement vulnérables aux menaces posées par la surexploitation, la pollution et surtout le dérèglement climatique. De fait, 70% de la population du Sud de l’Europe fait face à un manque d’eau saisonnier, principalement en été, et la durée des sécheresses a été multipliée par 4 en Europe depuis 30 ans. L’accès à l’eau pourrait devenir de plus en plus difficile à l’avenir, ce qui risque d’entraîner une concurrence acharnée entre les différents consommateurs et des risques de troubles sociaux, comme cela a été le cas cette année en France avec la question des « mégabassines ».

Où trouver de l’eau ?

Compte tenu du dérèglement climatique, il semble illusoire de compter sur une augmentation des stocks naturels par les eaux de pluie et de fonte des neiges. Car même si les excès climatiques se multiplient depuis quelque temps, avec des pluies diluviennes et des orages cataclysmiques, ceux-ci n’améliorent pas la situation, au contraire. De fait, tombant sur un sol trop sec, ces intempéries excessives ne peuvent être absorbées et se transforment en inondations et érosion. Par ailleurs, le réchauffement climatique rend les hivers sont moins rigoureux et moins enneigés.

Il faut donc trouver ailleurs les moyens de faire face à la pénurie :

  • Réduction de la consommation. Il faut réaliser des économies d’eau dans tous les secteurs d’activité, aussi bien dans l’agriculture, l’industrie mais aussi au niveau des ménages. Cela commence sans doute par une meilleure gestion de la ressource, notamment à travers une mesure plus précise des volumes prélevés.
  • Amélioration de l’efficacité des réseaux. En Europe, 25% de l’eau potable qui circule dans les réseaux est perdue. En Espagne, ce taux atteint même 30 % à 40%. Cela s’explique en premier lieu par la vétusté des canalisations. Par exemple, en France, leur âge moyen est de 50 ans.
  • Recours à des sources d’eau non conventionnelles (récupération de l’eau de pluie, réutilisation des eaux grises). En France, moins de 1% de l’eau consommée provient de la réutilisation des eaux grises, alors qu’en Italie ou en Espagne, ce taux atteint 8% et 14% respectivement. En France, il est d’ailleurs interdit de boire de l’eau de pluie.
  • Réduction des pollutions. Dans de nombreux pays, l’agriculture intensive entraîne une pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau, qui rend l’eau impropre à la consommation et réduit la productivité des usines de traitement.

Un énorme besoin d’investissement

La Commission Européenne estime que les Etats membres devraient faire passer leurs investissements dans le domaine de l’eau de EUR 100 milliards en 2020 à EUR 300 milliards en 2030, soit un triplement des budgets. Même s’il existe un écart important entre les besoins annuels d’investissement des États membres, tous les pays européens devraient consentir un effort supplémentaire d’au moins 25% pour se conformer aux normes en matière d’infrastructure de l’eau.

Investissement annuel par habitant (en EUR, moyenne sur 5 ans)

Sources: EurEau: European drinking water and waste water sector, 2021 edition

Les investisseurs privés à la rescousse

Historiquement, 80% des investissements dans les infrastructures de l’eau ont été financés par de l’argent public (Etat ou collectivités)[4]. Cependant, de nombreux pays européens sont déjà fortement endettés et ne pourront probablement pas consentir les investissements nécessaires dans les années à venir. D’autre part, même si les transferts de l’UE représentent dans certains pays plus de 13% des budgets[4], ces soutiens européens pourraient bien ralentir à l’avenir. En conséquence, les investissements privés et le financement commercial, qui ne pèsent actuellement que 6% du total, pourraient bien augmenter significativement.

Quelles opportunités pour les investisseurs ?

Plusieurs pays européens sont bien adaptés aux investisseurs privés et aux financements commerciaux. De fait, dans de nombreux cas, les fonds publics européens permettent de réduire les risques des entreprises. Ceci se traduit par exemple par une législation qui limite le risque politique, par des garanties publiques qui réduisent les risques de crédit, par des contrats de concession à long terme avec une forte visibilité des flux de trésorerie ou encore des tarifs adaptés à l’inflation. Ceci rend les projets d’infrastructures de l’eau attrayants aussi bien pour les banques (à travers le financement de projets) que pour les investisseurs privés en fonds propres.

A côté des grands acteurs, le secteur de l’eau se compose de centaines de petites et moyennes entreprises qui fournissent de services essentiels à une grande variété de clients publics et privés. Certaines ont développé une expertise de niche dans leur domaine, des technologies de pointe et/ou des relations privilégiées avec leurs clients.

Selon nous, les meilleures opportunités se trouvent du côté des industries, qui sont sous la pression du public sur les questions de durabilité et qui doivent moderniser les installations. Il existe ainsi de nouveaux marchés à saisir notamment dans le domaine de la réutilisation et de l’optimisation de la consommation. Les services publics représentent également un marché intéressant. En étant aussi soumis à la pression du public et des réglementations, ils constituent une contrepartie fiable et solide. Dans ce secteur, les nouveaux marchés sont notamment la modernisation des réseaux et le chauffage collectif à distance.

[1] Source: Office français de la biodiversité, Collection des synthèses eaufrance, 2021
[2] Source: EurEau.
[3] Source: European Environment Agency.
[4] Source: ‘Financing a Water secure future’, OECD Policy highlights 2022.